Vertiges de Bùi Thac Chuyên (cinéma)

Posté le 9 février 2011 par

Vertiges de Bùi Thac Chuyên nous donne des nouvelles cinématographiques du Vietnam à travers un portrait de couple sensible, dense, mélancolique, et d’une réjouissante modernité ! Par Victor Lopez.


L’histoire: Duyen vit dans une reposante simplicité ; elle attend peu de la vie et accepte avec bonheur ce qu’elle lui propose: un mari encore un peu gamin avec qui elle s’installe amoureusement. Mais les attentes de l’un comme de l’autre ne semblent pas se rejoindre. Le couple commence alors une vie commune vouée à l’échec sous le regard attentif de Cam, romancière qui développe une amitié complice et ambigüe avec Duyen. Sentant que son amie a besoin d’affirmer sa féminité devant un mari qui ne veut pas grandir et consommer son mariage, elle va l’aider à lui apprendre à suivre ses désirs en l’extirpant d’une morale conventionnelle…

Depuis que Tran Anh Hùng a clôt sa trilogie vietnamienne avec A la verticale de l’été en 2000 et a décidé de poser son regard langoureux sur d’autres géographies (on attend avec impatience son adaptation de Murakami Haruki), rares étaient les nouvelles du Vietnam sur les grands écrans français. Alors que les succès locaux comme le polar Heaven Nets de Phi Ti?nSon ou le carton Bar Girls de Le Hoang nous restent inaccessibles et laissent froids les distributeurs occidentaux, les productions bénéficiant de capitaux étrangers se comptent sur les doigts d’un festival (on pense à l’américain Three Seasons de Tony Bui ou au français Gardien de Buffle de Nguy?n Võ Nghiêm Minh). C’est pour cela que la sortie de Vertiges constitue un événement en soi. Comme les films de Tran, Vertiges est en partie produit par la France, mais a été pensé au Vietnam par ses créateurs qui se sont battus pendant sept ans pour pouvoir toucher des financements de l’état. Grâce à cette lutte, le film offre un réel point de vue sur le pays et reflète de l’intérieur le mal être actuel. Ce film choral d’une belle densité sait laisser entrer le réel, pour que le sentiment d’immersion dans le pays soit total.

D’une écriture sereine qui jongle avec plusieurs pistes narratives simples mais développées avec soin, Vertiges laisse au spectateur le temps de contempler Hanoï, dont le flot régulier des deux roues n’a pas faibli depuis Cyclo. Filmée caméra à l’épaule, la première scène donne le ton. On y suit un personnage pressé de ramener son frère à la femme qu’il vient d’épouser. Sa course est arrêtée par sa mère qui lui dit qu’elle peut attendre. La caméra se stoppe net et se fait alors patiente et contemplative, comme si elle respectait aussi l’injonction de la mère triste d’abandonner son fils. “Spectateurs pressés, passez votre chemin”, nous dit cette introduction: le film déroulera alors son univers et ses sujets au rythme tranquille et simple de ses personnages.

Les autres seront récompensés pour leur attente : le film arrive à prendre le pouls de la société contemporaine vietnamienne en calant son rythme sur le cœur de ses personnages. Les deux jeunes mariés s’entendent mais ne se comprennent pas et vont tous deux se découvrir en pénétrant des univers dangereux. Lui, chauffeur de taxi, va être attiré pas les milieux interlopes du jeu et de la prostitution par le biais d’un de ses clients. Mais c’est là une fausse piste : regardant par la fenêtre d’un bordel ou il refuse les avances des courtisanes (comme de consommer son mariage), son regard est attiré par des enfants jouant au foot, qu’il rejoint avec bonheur. Au fond, ce n’est qu’un enfant marié trop vite et qui n’a aucune envie de grandir. Face à son Peter Pan de mari, Duyen va trouver une forme de consolation avec Cam, romancière qui comprend la frustration de son amie. La jeune femme n’attend en effet que l’occasion pour exprimer sa féminité et son statut de femme. Et c’est finalement elle qui va dépasser les limites de la moralité…

Discutant grâce à un montage parallèle d’une profonde intelligence, les histoires des mariés vont être enrichies par celles des personnages qui gravitent autour d’eux. Cam, interprétée avec une émouvante tristesse et une surprenante maturité par Linh Dan Pham, mais aussi une jeune voisine aimant les bains, son père obsédé par les combats de coqs, une femme perdue par l’amour, une mère qui ne veux pas voir son fils partir, une grand-mère qui a fermé les yeux sur certain aspect de la vie de son mari et son bonheur… Ce soin accordé à chacun des personnages secondaires (qui existent tous avec force à l’écran), donne une vraie épaisseur au film, et lui permet d’avoir un point de vue plus global sur la société actuelle que ne le laisse en premier lieu présager son histoire. Le solide réalisme de l’ensemble finit par convaincre de la beauté d’une œuvre ample et simple, écrite et construite avec soin mais très libre dans son rapport au temps et aux lieux. Cet essai fait définitivement de Bùi Thac Chuyên un cinéaste à suivre de près et annonce le meilleur pour la production vietnamienne.

Victor Lopez.

Verdict :

Vertiges de Bùi Thac Chuyên en salles le 09/02/2011

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