Interview exclusive avec Linh-Dan Pham pour Vertiges

Posté le 29 janvier 2011 par

A l’occasion de la sortie en salles le 9 février de Vertiges de Bùi Thac Chuyen, East Asia est allé à la rencontre de Linh-Dan Pham pour lui poser quelques questions sur son rôle de Càm. La sympathique actrice a très gentiment accepté de répondre à nos questions dans une ambiance décontractée et très chaleureuse d’un charmant hôtel parisien situé proche de la Butte Montmartre. Interview exclusive ! Par Olivier Smach.


Quand on considère votre filmographie, entre De battre mon cœur s’est arrêté d’Audiard, Dante 01 de Caro, Mister Nobody de Jaco Van Dormael ou encore la série Pigalle, la nuit, vos choix se portent sur des projets atypiques et éclectiques. Selon quels critères faîtes-vous vos choix de films ?

C’est vrai que je n’ai pas de plans de carrière: je marche au coup de cœur. On m’envoie un scénario, et, s’il me plait, je rencontre le réalisateur… Ce qui m’intéresse, c’est avant tout des aventures artistiques, d’où une filmographie éclectique. En même temps, j’ai la chance de recevoir des rôles très variés: entre Dante 01, dans lequel je me retrouve le crâne rasé pendant tout le film dans l’espace, De Battre mon Cœur s’est Arrêté, où je débarque et ne parle pas un mot de français, Mr Nobody, où j’incarne une bourgeoise malheureuse…

Mais Vertiges est vraiment un gros coup de cœur ! Je désirais depuis très longtemps travailler au Vietnam, mais je n’aimais pas du tout les scénarios que l’on m’offrait jusqu’à présent. Comme je suis quelqu’un d’entier, j’y vais lorsque cela me donne vraiment envie, et c’est la raison pour laquelle je n’ai pas joué dans un film vietnamien auparavant.

Par ailleurs, est-ce difficile pour une actrice d’origine asiatique de trouver des rôles qui sortent des clichés en France ?
C’est marrant car c’était la peur de mes parents ! Mon premier film, Indochine, c’était énorme : on a reçu le Golden Globe du meilleur film étranger, on a eu pleins de césars… Donc, que faire après ça ?! Mes parents m’avaient dit: « le cinéma est instable et comme en plus tu es typée, ce n’est pas tous les jours que tu auras un rôle à la hauteur d’Indochine ! ». Alors oui, j’ai entendu ça… Et en même temps, comme le cinéma n’était pas ma passion, j’ai arrêté.

Je suis ensuite revenue au cinéma avec De Battre mon Cœur s’est Arrêté. Mon personnage était plus intéressant, moins stéréotypé: loin des rôles de la belle et jeune Geisha qui ne dit pas grand-chose… Car De Battre…, c’est vraiment un rôle magnifique: une prof de piano qui ne parle pas un mot de français et d’anglais, et qui va communiquer avec Romain Duris à travers la musique. Et je crois en effet que le césar obtenu pour le meilleur espoir féminin a beaucoup aidé, car après je n’ai pas eu ce problème de stéréotypes.

Les gens viennent à moi car ils aiment mon travail. Dans Mister Nobody, je m’appelle Jeanne, un prénom qui n’est pas typé asiatique du tout. Dans Dante 01, j’incarne Élise, une scientifique, dans Le Bruit des gens autour de Diastème, qui parle du théâtre à Avignon, je suis une spectatrice déjantée, dans Tout ce qui Brille, j’incarne un mannequin qui fume et qui se drogue à longueur de journée… Donc non, j’ai eu beaucoup de chance et je n’ai pas ressenti ce stéréotype !

Comment a débuté le projet et comment est née votre collaboration avec le réalisateur Bùi Thac Chuyen ?

Vertiges a mis a mis sept ans à se monter. A l’origine, le scénario est le projet de fin d’étude de l’école de cinéma du scénariste, qui l’a mis sur internet bien avant que le film soit tourné. Beaucoup de monde avait donc lu cette histoire, l’avait adoré et s’était fait une idée des personnages. Bùi-Thac Chuyen l’avait également beaucoup aimé, et, comme il connaissait le scénariste Dang-Di Phan, il a commencé à travailler sur le film. Mais ils ont eu du mal à écrire le scénario définitif et s’y sont pris à plusieurs reprises. D’autre part, il a mis du temps à sortir pour manque de financements.
Pour ma part, cela faisait longtemps que j’avais un œil sur le cinéma Vietnamien et je voulais en faire partie. Le réalisateur m’a envoyé ce scénario, et je l’ai adoré ! Il a essayé de trouver des financements à Cannes pour faire son film, et il est passé ensuite à Paris, où j’ai pu le rencontrer.

Au départ, c’était une rencontre assez bizarre parce qu’il ne parle pas beaucoup. Je lui ai dit que j’adorais ce scénario, cette histoire. Là, il s’est senti un peu gêné car il me trouvait trop jeune pour le rôle, pas assez mûre, en fait… J’ai donc vraiment dû me battre pour le convaincre ! Je suis heureuse d’avoir eu gain de cause.

Le titre original veut dire « A la dérive », pourquoi l’avoir changé pour Vertiges en français ?

Choi Voi est difficile à traduire en français: ça veut dire être un peu balloté, un peu perdu… « A la dérive », mais plus dans le sens d’être pris de vertiges, sans savoir où l’on va ou ce qui va se passer… C’est également un film où les gens se posent beaucoup de questions. Et comme il n’y a pas ou peu de réponses, et que le réalisateur refuse d’en donner, comme il le dit lui-même, le spectateur se sent un peu déboussolé dans le film. C’est un mélange de choses qui fait qu’au final Vertiges lui correspond mieux comme titre.

Parlons maintenant de votre personnage. Duyen l’appelle au début du film « grande sœur ». Est-ce que Càm est une parente de Duyen, ou bien est-ce seulement une amie ?

Quand on voit Duyen arriver pour la première fois dans la maison de Càm, où se trouvent les brodeuses, elle appelle d’abord la mère de Càm « tante ». Mais c’est uniquement parce qu’au Vietnam, il y a une hiérarchie avec les gens plus âgés. Puis, lorsqu’elle monte les escaliers, et qu’elle se retrouve devant Càm, elle l’appelle effectivement « grande sœur », mais ce n’est qu’une amie…

Votre personnage, Càm, est extrêmement intéressant sur de nombreux points. Vous incarnez une romancière manipulatrice et masochiste, qui semble se complaire dans la destruction: elle n’hésite pas à mettre Duyen dans les bras de Thò, l’homme qu’elle aime, alors qu’il semble qu’elle éprouve une attirance pour cette dernière… Pouvez-vous nous éclairer là-dessus ?

C’est très compliqué… Le réalisateur lui-même refuse de répondre à cette question ! Il s’agit d’un triangle amoureux, car Càm a sans doute dû vivre quelque chose, à un moment donné, avec Thô. Mais elle le considère plus comme quelqu’un qu’elle observe pour ses romans, pour sa fiction… Alors oui, il y a un côté manipulateur et une mise en scène de sa part, mais je ne pense pas que ce soit si conscient que ça…

Concernant sa relation avec Duyen, on peut dire que c’est une amitié très forte. Càm est une ermite: elle ne sort presque jamais, vit dans un monde fictif, et je crois qu’elle a peur des gens. En fait, son seul lien avec le monde extérieur, c’est son amie. Mais il y a aussi de la jalousie de sa part: à partir du moment où Duyen se marie, elle se rend compte qu’elle sera moins disponible pour elle, et sent qu’elle va s’enfermer dans la solitude. Et enfin, en tant qu’amie, elle se rend également compte que Duyen n’est pas heureuse. Elle va donc la pousser dans les bras de cet homme, qui va l’éveiller à l’amour charnel.

Au début du film, Càm est présentée comme malade. Cela est-t-il la conséquence de son caractère dépressif, ou bien peut-on dire que le personnage a volontairement renoncé à la vie pour l’écriture ?

Je crois qu’elle n’est pas heureuse. C’est peut être psychosomatique… Mais en même temps, c’est le mariage de Duyen qui l’achève, car c’est une véritable torture pour elle. Alors qu’elle pensait qu’elles étaient très proches, Càm n’était pas au courant de cette union. C’est un grand choc…

Dans le dossier de presse, nous avons appris que le film s’est confronté à la censure pendant sept ans ? Pouvez-vous nous expliquer pour quelles raisons ?

En fait, ce n’était pas une histoire de censure mais une histoire de financements ! Personne n’osait financer ce film… Et c’est vrai que comme on y parle d’adultère, d’individualité, moi même je me suis dit en lisant le scénario que ça n’allait jamais passer…

Jusqu’à maintenant, le Vietnam produisait surtout des films qui parlaient de la guerre, ou de l’après-guerre. Le sujet de Vertiges n’était donc a priori pas un sujet qui allait fortement intéresser l’état, et donc passible d’être approuvé. Mais en fait, ces craintes n’étaient pas fondées, puisque le film est produit par l’état. Il n’y a donc pas eu de censures et j’y suis allé sans inquiétudes.

Le réalisateur vous a-t-il donné des indications particulières pour interpréter ce personnage et avez-vous apporté des éléments personnels au rôle ?

La difficulté pour moi dans ce film, c’était surtout de jouer en vietnamien ! Je ne l’ai pas appris comme on apprend une langue à l’école, avec la grammaire, les structures… Je parle vietnamien car on me le parle depuis que je suis toute petite. Ma peur était donc de jouer dans cette langue et c’est sur cet élément que je me suis focalisée.

Je pense par ailleurs que tout le monde peut se retrouver dans mon personnage. L’état dans lequel on se trouve lorsqu’on aime une personne qui ne nous aime pas en retour, les non – dits, etc., ce sont des choses dans lesquels je me retrouvais. Je ne voulais donc pas que la langue soit une barrière pour moi.

Le film a été présenté dans de nombreux festivals partout dans le monde, l’avez-vous accompagné et pouvez vous nous dire comment il a été reçu ?


Je l’ai accompagné à Venise et à Bangkok. Venise, c’était vraiment impressionnant ! Je voyais le film pour la première fois en salle, ce qui était encore plus émouvant pour moi… On a reçu un accueil très chaleureux, et on a obtenu le prix de la critique internationale.

C’est un film qui a été très apprécié durant les festivals, et qui a ensuite été distribué au Vietnam pour sa sortie nationale. Mais les films d’auteurs ont du mal à exister au Vietnam. On y trouve plutôt beaucoup de films de divertissements. Ce sont principalement les blockbusters américains qui sortent.

Avec Vertiges, on a été très surpris car on eu beaucoup de spectateurs. On n’a pourtant pas eu beaucoup de séances de grande audience, mais les gens continuaient de se déplacer quand même. Ils étaient curieux d’aller voir un film qui avait reçu cette reconnaissance internationale.

Pouvez-vous nous parler de la situation du cinéma au Vietnam ?

Lorsque je suis revenu au Vietnam pour promouvoir le cinéma français, il y a trois ou quatre ans, j’ai été surprise de voir qu’il existait des grands multiplexes, et que les gens allaient au cinéma. Ils ont maintenant le temps et les moyens. Il y a en effet une demande importante pour que de tels complexes existent.

Du coup, l‘état commence à s’intéresser au cinéma vietnamien, à investir dedans, et à produire des films. Mais cela reste encore une toute petite industrie. Les talents ont quand même toujours été là, et on assiste à l’éclosion d’une nouvelle vague, avec des films qui parlent de choses beaucoup plus d’actualités. Vertiges, en racontant l’histoire d’une famille à Hanoi, en est l’exemple et il y en a de plus en plus comme ça !

Pour conclure, pouvez-vous nous parler de vos futurs projets ?

Je viens de terminer un film avec Isabelle Adjani et Eric Cantonna réalisé et écrit par Frank Henry. Comme j’aime à le dire, c’est le premier film de gangster réalisé par un gangster ! Et puis il y également la deuxième saison de Pigalle, la nuit, qui devrait arriver prochainement. Soit de beaux projets en perspectives !

Linh-Dan, un dernier pour nos lecteurs d’East Asia ?

Alors, lecteurs d’East Asia, allez voir Vertiges le 9 février dans tous les bonnes salles de cinéma !

Propos recueillis par Olivier Smach à Paris le 28/01/2011.

Un grand merci à Monsieur François Vila de nous avoir permis cette belle rencontre humaine.

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Critique de Vertiges de Bùi Thac Chuyên.

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