Dans une auberge, un poète éthylique rencontre une chevalière errante, Hirondelle d’or. La jeune femme est à la recherche de son frère, haut fonctionnaire de l’Empire enlevé par une bande de brigands menée par Tigre Face-de-Jade.
L’Hirondelle d’or constitue à sa sortie une révolution en tout point pour le cinéma de Hong Kong. C’est tout d’abord l’avènement d’un genre, le wu xia pian (film de sabre chinois) vers une tonalité plus percutante et moderne. Le wu xia pian, nourrit de légendes et de contes populaires héroïques chinois est un genre imprégnant la culture locale mais jusque-là sa représentation à l’écran avait donné des œuvres à l’amateurisme théâtral en retranscrivant bien mal la dimension épique. Le public hongkongais en quête de sensation forte et de figure héroïque préférait donc à l’époque se tourner vers le chambara (film de sabre japonais) brutal, sanglant et virtuose ainsi que vers le western spaghetti qui fait à l’époque un triomphe avec notamment la trilogie de l’Homme sans nom de Sergio Leone. Run Run Shaw, patron de la Shaw Brothers décide de remédier au problème en produisant L’Hirondelle d’or. La Shaw Brothers fondée en 1958 s’était tout d’abord spécialisée dans des œuvres prolongeant la tradition de l’Opéra de Pékin et /ou retranscrivant des contes traditionnels avec des succès tels que The Love Eterne (1963) de Li Han-hsiang mais malgré ses moyens n’avait pas encore les compétences pour produire un wu xia pian pouvant rivaliser en efficacité avec les productions étrangères. Run Run Shaw recrutera ainsi des techniciens Japonais qui formeront les équipes de la Shaw Brothers qui pourront alors offrir une relecture du genre imprégnée de leur culture. Pour mener à bien tout cela, Run Run Shaw a l’idée de génie de faire appel à la valeur montante du studio pourtant pas du tout spécialiste en arts martiaux, King Hu.
King Hu n’avait jusque-là réalisé que quelques séquences de The Love Eterne pour aider son ami Li Han-hsiang, le mélodrame The Story of Sue San (1964) et le politisé The Sons and Daughters of the Good Earth (1965). L’insuccès de ce dernier film l’amène donc sur cette Hirondelle d’or aux velléités plus grand public. Le raffinement et la culture de King Hu va amener le projet vers un résultat bien plus ambitieux que le simple décalque du chambara japonais (dont on retrouve l’influence dans quelques débordements sanglants et élans de sadisme que l’on ne retrouvera pas dans ses films de sabre suivant et évoquant plutôt Chang Cheh). Le film adapte d’ailleurs une pièce fameuse de l’Opéra de Pékin, Le Mendiant Ivre et King Hu n’aura de cesse d’entremêler cette tradition et des audaces plus modernes. L’histoire narre ainsi la lutte d’Hirondelle d’or (Cheng Pei-pei), justicière en lutte contre des bandits ayant enlevé son frère et soumettant son père gouverneur au chantage. Dans sa lutte, elle sera aidée par le farfelu Chat Ivre (Yueh Hua) cachant sous son alcoolisme de redoutables aptitudes martiales.
L’Hirondelle d’or est le premier volet de ce qui constituera chez King Hu la « trilogie des auberges » suivit ainsi plus tard par Dragon Gate Inn (1967) et L’Auberge du Printemps (1974). Ces lieux clos sont pour le réalisateur synonymes de jeu de dupes et de faux-semblants où alliés et ennemis se jaugent. Ce sera là l’occasion d’une des séquences les plus mémorables du film et une figure imposée du wu xia pian ou les protagonistes échanges politesses tout en essayant de se trucider en douce sur le score hypnotique de Lan-Ping Chow soulignant autant la dimension ludique que la tension extrême du moment. Cet art de la dissimulation en appelle un autre par l’usage de travestissement que fait King Hu. Lors de cette première apparition, Cheng Pei-pei se fait passer pour un homme sans que les autres personnages ne doutent du contraire. King Hu prolonge ainsi au cinéma la tradition de l’Opéra de Pékin où les grandes stars étaient des femmes et pouvaient endosser les rôles masculins. Une tradition prolongée au cinéma justement dans The Love Eterne et qui donnera quelques moments de saphisme latent trouble dont Tsui Hark saura saisir toute l’ambiguïté dans sa relecture du même conte avec The Lovers (1994). En tout cas, voir une femme jouer un rôle d’homme est une convention acceptée même si King Hu perpétue et s’éloigne à la fois de cela (Hirondelle d’or s’avérant réellement une femme au bout du compte) dans sa trame, affirmant le féminisme qui imprégnera son œuvre où les héroïnes valeureuses ont la part belle. Chat Ivre personnifie également bien cette question du faux-semblant au cœur du film, être joyeux et insouciant simplement préoccupé par son prochain verre mais qui au contraire va être d’un secours précieux à la trop impulsive Hirondelle d’or, l’avertissant du danger et lui donnant de précieux indices par la taquinerie et le jeu (dont une scène de poursuite sur les toits qui aura été reprise dans l’idée mais sans le même brio par Ang Lee dans son Tigre et Dragons). Cette insouciance révèlera même un être plus vulnérable et torturé dans la seconde partie et Yueh Hua bien que trop jeune pour le rôle amène tout le mélange de fantaisie (la légende voulant que King Hu l’ayant réellement fait boire entre les prises pour le décontracter) et mélancolie au personnage. Il est d’ailleurs amusant de le voir en héros valeureux quand on sait qu’il se spécialisera dans les rôles de crapules chez Chu Yuan notamment.
Par sa nature de précurseur, L’Hirondelle d’or n’est pas le plus véloce et trépidant des films de la Shaw Brothers (et ni même de King Hu qui saura mieux allier contemplatif et nervosité par la suite) mais s’avère un bond considérable par rapport aux médiocres productions l’ayant précédées. King Hu comme souvent fait ici figure de peintre plus que d’illustrateur de l’action et confère au film une beauté formelle stupéfiante. Le choix de Cheng Pei-pei en héroïne s’avère judicieux puisque l’actrice n’a pas de formation martiale mais plutôt de ballerine. L’illusion est parfaite puisque ce qui intéresse King Hu c’est sa manière d’arpenter l’écran, de se mouvoir avec une grâce et une hargne constante à l’écran, mettant en valeur à la fois les chorégraphies et l’environnement de combat qui n’aura aucun secret pour le spectateur. Les cadrages à la précision parfaite montre ainsi l’emplacement des forces en présence (les plongées de la scène de l’auberge, celles montrant Cheng Pei-pei encerclée lors de la bagarre dans le temple), les travellings virtuose amènent dynamisme et mouvement dans les faces à faces, les chorégraphies inventives (multipliant bottes secrètes et démonstration de forces comme lorsque Tigre Face-de-Jade jubile d’avoir décoiffé Hirondelle d’or avant de comprendre qu’elle lui a tranché la ceinture), la hargne et la conviction Cheng Pei-pei faisant le reste. King Hu envisage constamment le décor comme un tableau dont il exploite la profondeur, la verticalité/horizontalité dans sa façon d’y faire évoluer ses personnages et où les joutes martiales reposent bien plus sur la gestion de l’espace que les purs mano à mano (les plans rapprochés étant rares durant les combats). Une même logique animera King Hu avec plus d’ambition encore lors des longs affrontements en plein désert et dans les paysages montagneux de Dragon Gate Inn et L’Auberge du Printemps. Cet art de la composition fait encore plus merveille lors des moments apaisés où les superbes décors studio de la Shaw Brothers trouvent une magnificence aussi éblouissante que factice, on pense à ce panoramique où Hirondelle d’or observe l’extérieur face à sa fenêtre où ce magnifique plan large mettant en valeur la cascade.
Fort de toutes ces innovations et de son récit rondement mené, le film sera un triomphe à Hong Kong et en Asie, lançant définitivement le wu xia pian moderne. Un succès qui aurait dû assurer un statut prestigieux à King Hu au sein de la Shaw Brothers mais furieux des contraintes imposées par Run Run Shaw (qui lui aurait refusé les dix jours de tournagesvoulus pour la séquence de l’auberge) il claque la porte du studio pour aller tourner Dragon Gate Inn à Taiwan et dont le succès surpassera encore celui de L’Hirondelle d’or.
Justin Kwedi.
L’Hirondelle d’or de King Hu sera présenté au FICA de Vesoul du 11 au 18 février 2014.
Pour plus d’informations sur le festival.
Pour plus d’informations sur le film (et ses scéances).
LE FICA de Vesoul 2014 sur East Asia :
Édito preview : d’un festival à l’autre
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