FFCP 2023 – Entretien avec Lim Oh-jeong pour Hail to Hell

Posté le 21 novembre 2023 par

Chaque année, le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) met en avant un réalisateur ou une réalisatrice, et revient en détails sur sa jeune carrière, des premiers courts-métrages jusqu’au premier long, tous présentés aux spectateurs. Pour cette 18e édition, c’est Lim Oh-jeong qui est venue présenter son film Hail To Hell, un premier long qui a déjoué les attentes du public.

Pouvez-vous vous présenter au public français et nous parler de votre parcours dans le cinéma ?

Je suis une réalisatrice coréenne, je viens de réaliser mon premier long-métrage Hail to Hell qui est sorti en 2022, et avant j’avais travaillé sur pas mal de longs-métrages coréens et j’ai réalisé aussi des courts-métrages. Cela fait 20 ans que j’aime le cinéma, que je travaille dans le milieu, et aujourd’hui je présente mon film à Paris et j’en suis très honorée.

Quel fut le déclic qui vous a convaincue de passer de la réalisation de courts-métrages à votre premier long ?

Quand j’ai voulu devenir réalisatrice, j’avais toujours le but, le rêve de faire un long -métrage, mais si j’ai fait autant de courts-métrages, c’était parce que ces histoires me tenaient à cœur et que j’ai tout simplement suivi les différentes étapes que l’on apprend dans les écoles de cinéma. Après avoir reçu le diplôme de mon école de cinéma, je ne me sentais pas prête, je n’arrivais pas à trouver le bon sujet. J’ai donc continué de réaliser des courts pour me perfectionner. Et à l’âge de 40 ans, je me suis dit qu’il était peut-être temps de me lancer dans le grand bain. C’est comme ça que j’ai réalisé Hail To hell, mais j’avais cette peur en moi qui me disait que si je ne le faisais pas maintenant, peut-être que jamais je ne ferais jamais de long. Il y avait ce sentiment d’urgence et en même temps, je me sentais très mal, très isolée, solitaire et ces sentiments m’ont aidée à réaliser ce film.

Comment vous est venue l’idée et de quelle façon l’avez-vous développée tout au long de la production ?

Avant de faire ce premier long-métrage, j’ai fait beaucoup de petits boulots alimentaires, j’ai notamment été enseignante et j’ai pu observer les adolescents. J’étais particulièrement captivée par le fait qu’ils étaient capables de changer complètement d’attitude, d’émotions. Ils étaient capables en un clin d’œil de passer de la joie à la plus grande tristesse. Il suffisait que l’un d’eux soit triste et à la seconde où il reçoit le coup de fil d’un ami, se mette à sauter de joie. Je voyais en eux ce dynamisme, ce côté très vivant qui était très beau à observer, et malgré cela, on voit encore trop de jeunes qui tentent de se suicider. C’est le côté triste de la Corée. Je remarquais qu’il y avait un certain lien avec la solitude que j’éprouvais aussi. Donc j’ai eu envie de raconter l’histoire de ces deux jeunes filles qui ont envie de se tuer et pourtant, qui ont envie de s’éclater et de vivre. Je voulais montrer ce sentiment contradictoire. Je me suis mise à les comprendre et c’est ainsi que j’ai pu écrire le scénario.

On remarque depuis vos courts-métrages que vous utilisez souvent la forme du récit initiatique, celui d’un voyage entrepris par vos héroïnes pour se confronter d’une certaine façon à leurs problèmes quotidiens, à leurs démons et à ceux et celles qui les ont blessées. Pour quelles raisons préférez-vous emprunter cette forme narrative ?

C’est le cas en effet dans mes courts-métrages, mais mes personnages, de près ou de loin, sont toujours en mouvement, physiquement, de manière concrète. Un court voyage est toujours le départ d’un grand changement. Je dirais même que c’est à travers un voyage que l’on finit par atteindre un but, et d’une manière que l’on n’aurait pas imaginée. Finalement, c’est la relation avec les gens qui nous accompagnent au cours de ce voyage qui change. Par exemple, dans le film, nous avons deux filles qui sont complices, mais qui ne sont pas encore amies. Et durant ce voyage, elles sont confrontées à elles-mêmes, à leurs propres zones d’ombre et elles entrevoient, au terme, leur amitié future. Le thème de la vengeance n’agit que comme un MacGuffin et c’est leur relation qui est le plus important, c’est pour cela que le voyage est idéal pour décrire les relations humaines.

Aviez-vous à cœur, dans le déroulé de votre histoire, de toujours déjouer les attentes du spectateur ?

J’aime bien raconter des histoires mais je pense que nous avons tous en nous un intérêt pour l’inattendu et c’est que je cherche toujours dans mes lectures et ceux dès les premiers livres que j’ai lus : Les Aventures de Tom Sawyer et les livres de Mark Twain, Le Voyage de Gulliver, ce sont toujours des aventures qui nous mènent vers l’inconnu, on se perd et on finit par retrouver des choses, à comprendre d’autres choses. Je voulais donc conserver dans mon histoire une continuité dans les événements inattendus. Même le personnage de Na-mi, quand elle regarde Sun-woo, elle a des préjugés. Elle pense que Sun-woo est une fille gentille, pas compliquée, parce que c’est une fille qui a toujours vécu seule. Elle pense qu’elle n’a pas de famille et ce n’est pas le cas. L’idée qu’elle se fait de son amie n’est pas réelle et au cours du récit, on se rend compte que cette multitude de préjugés s’avère fausse et elle va se mettre à mieux comprendre le personnage de Sun-woo.

Aviez-vous l’idée, à l’écriture du scénario, de concevoir la secte religieuse dans laquelle se rendent les deux héroïnes comme une sorte de microcosme de la société coréenne ?

Oui bien sûr, c’est une miniaturisation de la société coréenne, mais pour moi, la secte est le lieu où peuvent se réfugier, se retrouver ceux que l’on considère comme des marginaux à l’école ou dans la société. La religion, au-delà de ses valeurs, nous montre ces deux espaces et les personnages dans le film retournent malgré eux dans ce système ; les enfants sont exploités. A l’école ou dans la secte, on peut trouver un espoir qui serait leur imaginaire. Et dans cette histoire, au final, les seules personnes sacrifiées sont les enfants.

Vous êtes-vous inspirée de faits divers ou de sectes en particulier dans la conception fictive de cette secte qui semble emprunter autant de symboles aux diverses religions, promet un paradis dérivé de l’hindouisme et qui cache un enfer bien réel autour de cette figure de gourou que l’on devine en prison pour des crimes sur les jeunes filles ?

Je ne voulais pas décrire un gourou emprisonné pour des crimes de pédophilie, ce n’était pas ma volonté. Le point commun dans ces organisations religieuses est que les meneurs exploitent leur pouvoir pour attirer des proies dans des buts sexuels. Mais ici, puisque les protagonistes étaient des enfants, je ne voulais pas aller jusque-là. J’ai beaucoup étudié ces sectes et autres communautés religieuses coréennes et je pense qu’il n’y a pas de différences avec les sectes étrangères. Je voulais mélanger toutes ces religions qui se réclament du protestantisme. Le nom de la secte, c’est Chyo sun. Chyo cela veut dire atteindre le ciel et en même temps, il y a une connotation confucianiste. Je voulais mélanger toutes ces valeurs de différentes religions et de philosophies. Ces religions profitent de cela pour encenser le Messie. Il y a toujours le rêve de ce paradis. Ce que l’on observe est qu’aujourd’hui et plus qu’ailleurs, ces religions prennent racine dans des pays en voie de développement et sous prétexte de faire du prosélytisme et de prêcher la bonne parole, ils exploitent les pauvres citoyens. Et c’est bien sûr en rapport avec les différences de classes.

La grande force du film repose sur l’interprétation et la présence à l’écran de vos jeunes comédiennes. Comment les avez-vous découvertes dans les séances de casting ? Et comment les avez-vous dirigées sur le plateau ?

Il s’agit de trois actrices qui sont des débutantes. Je les ai rencontrées à l’occasion des auditions, et puisque c’était durant la période du covid, les premières phases se sont passées en distanciel. Chacune des actrices m’a envoyé une vidéo d’une scène particulière. L’actrice  Oh Woo-ri qui joue le personnage de Na-mi, m’avait particulièrement épatée, elle m’avait envoyé une scène de 2’30, c’était un monologue et ce n’était pas du tout ennuyeux, elle articulait bien et mettait une émotion à chaque phrase. Durant l’audition, j’étais très ouverte, je ne cherchais pas un profil particulier. Mais dès le début, j’ai su qu’elle serait Na-mi. L’actrice Oh Woo-ri est aussi réalisatrice et j’espère qu’un jour, vous pourrez voir à Paris son long-métrage. Concernant le personnage de Sun-woo, son interprète, Bang Hyo-rin, nous a tous fait pleurer, mon équipe et moi, durant l’audition tant nous avions été enchantés, emportés par sa prestation. Elle a en elle un talent et une force incroyables. Au début, nous hésitions à savoir si elle devait jouer Sun-woo ou Chae-rin. Et quant à Jung Yi-ju qui interprète Chae-rin, elle n’a pas du tout le physique pour jouer une méchante, elle a un côté très simple, très conservateur, très droit, la fille modèle. Et c’était bien, parce que je voulais que le spectateur se demande si elle avait vraiment changé ou pas. Je tenais à laisser planer le doute.

Propos recueillis à Paris le 06/11/2023 par Martin Debat et traduits par Yejin Kim.

Remerciements à toute l’équipe du FFCP et Cédric Callier

Hail to Hell de Lim Oh-jeong. 2022. Corée du Sud. Projeté au FFCP 2023

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