Après avoir proposé dans une copie resplendissante la bombe à fragmentation Tetsuo de Tsukamoto Shinya, Carlotta propose au cinéphile curieux et audacieux de découvrir Tetsuo II, deuxième déflagration au goût de métal, dans la parfaite lignée de son prédécesseur. Suite ? Remake ? Relecture du premier film ? Un peu de tout cela, à vrai dire.
De Tetsuo premier du nom, on retiendra une furie et une énergie incontrôlables, une violence visuelle et sensitive qui maltraite son spectateur et lui offre un peu plus d’une heure de cauchemar métallique. Une orgie apocalyptique où se mêlent ultra-violence, charge sociale sans retenue et sexualité exacerbée, aux frontières du SM le plus extrême, le tout filmé par Tsukamoto avec une mise en scène sur-vitaminée et aux limites de l’expérimental. Ce petit miracle a pourtant été filmé avec des bouts de ficelle par un metteur en scène présent à tous les postes mais à l’imagination et au talent indéniables. Un film qui, en soi, se suffisait à lui-même.
Mais comme il l’a laissé entendre lors de plusieurs entretiens, en 1992, Tsukamoto Shinya a envie de mettre en scène de manière un peu plus poussée un aspect de la société nippone qui le travaille, à savoir la ville comme prison à ciel ouvert. Tokyo est une fourmilière oppressante et désincarnée dans laquelle l’individu est voué à ne jamais pouvoir exister comme un être humain. Et pour cela, il va reprendre peu ou prou la même ligne directrice que Tetsuo (un homme se découvre la capacité de se transformer en monstre de métal) mais en amplifiant chaque thème et idée de mise en scène. Le scénario est d’une simplicité confondante, avec son héros qui va assister accompagné de sa femme à l’enlèvement de leur enfant par un groupuscule d’hommes mystérieux. De fil en aiguille, il va découvrir que la vraie cible de ce groupe, c’est lui.
Mais en partant de ce postulat, Tsukamoto va broder un récit tout aussi dingue que celui du premier film, et s’autoriser tous les excès possibles et imaginables. Infanticides, homicides, violences animales, rien ni personne ne sera épargné par la folie d’un scénario qui va partir dans tous les sens. Si Tsukamoto garde quand même à l’esprit que son sujet de base était l’aliénation totale et la transformation progressive en monstre d’un salaryman tokyoïte poussé à bout, son récit bifurque assez rapidement dans le fantastique pur et dur avec son histoire de groupuscule d’hommes vivants dans le Tokyo underground, une sorte de deuxième ville faite de tuyaux et d’immeubles délabrés, et qui vont voir le héros comme un dieu qui leur apparaît au détour d’expériences mystico-scientifiques.
On pourrait penser que Tetsuo II peine à se démarquer, d’un point de vue thématique, de son prédécesseur, mais plus le film avance et plus il commence à avoir sa propre identité. Là où le héros du premier volet glissait progressivement dans la folie la plus pure et destructrice, devenant un monstre de métal humanoïde, dans Tetsuo II, Tsukamoto Shinya choisit de mettre en scène la déification d’un quidam en train de muter et devenir un dieu de métal, entité monstrueuse et souterraine vénérée par des hommes pliés à sa volonté. De ses intentions, le spectateur ne saura finalement jamais grand chose, si ce n’est, à en juger par les derniers plans du film, une volonté de redessiner le terne monde du dessus à sa façon, et en faire un monde chaotique.
Sur le fond et sur la forme, on pourra constater que Tetsuo II se montre quand même un peu plus accessible et structuré que le premier film. Celui-ci avait un style et une mise en scène qui le rapprochait d’un pur film expérimental radical et violent, un trip en noir et blanc malmenant aussi bien la vue que l’ouïe de son spectateur. Pour Tetsuo II, Tsukamoto bascule dans le film en couleur, et dépeint Tokyo comme un monde terne, froid, sans vie, baignant dans une lumière bleutée d’une tristesse insondable. A l’opposé de cette froideur, les sous-sols grouillants de vie et lieu de tous les excès métalliques et organiques sont filmés avec une couleur rouge et chaude, à la fois symbole de vie et de mort, un endroit où la douleur physique et mentale est synonyme de libération et de liberté.
La folie créatrice du réalisateur de Tetsuo semble encore une fois sans limites, usant des effets de mise en scène les plus simplistes pour donner vie à son cauchemar sur pellicule. Ces même effets (stop-motion, accéléré) qui rendaient hypnotique et traumatisante chaque scène du premier film. Et lorsque la caméra se calme, notamment lors du climax, c’est pour mieux filmer l’apocalypse sur Terre, le calme après la tempête de violence métallique qui aura eu raison de la société et qui aura vu l’avènement du dieu de Métal, parcourant les rues tokyoïtes, triomphant.
Bonus :
Présentation du film par Jean-Pierre Dionnet : comme à son habitude et avec sa passion cinéphile proverbiale, Jean-Pierre Dionnet nous présente Tetsuo II en le resituant dans le parcours de Tsukamoto, dont il dresse un portrait juste et sincère, n’oubliant aucune information ni anecdote. On apprendra d’ailleurs ici qu’un certain Tarantino s’était rapproché du réalisateur pour un projet nommé Flying Tetsuo…
Making of : une succession de moments de tournage des séquences clés du film (la « communion connectée », la virée finale en ville), où l’on découvre qu’effectivement, Tsukamoto est absolument à tous les postes, autant devant que derrière la caméra. Un module passionnant pour qui voudra voir le réalisateur en action.
Interview de Tsukamoto Shinya : dans ce bref entretien, le metteur en scène parle de ses influences, de la difficulté de travailler avec une trop grande équipe, une logistique plus conséquente que pour le premier film, et des effets speciaux plus complexes. Il se livre également sur sa passion des bandes dessinées, comment elles ont pu impacter son travail et ses story-boards, et sur sa volonté de pouvoir un jour dessiner un manga.
Romain Leclercq.
Tetsuo II de Tsukamoto Shinya. Japon. 1992. Disponible dans le coffret Shinya Tsukamoto en 10 films paru chez Carlotta Films le 17/05/2023.