NETFLIX – Kill Boksoon de Byun Sung-hyun

Posté le 13 avril 2023 par

Quelques mois après la présentation de Kingmaker au dernier Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), le quatrième long-métrage du prometteur Byun Sung-hyun débarque sur Netflix. Somme toute, les tribulations de cette tueuse à gages tenue de jongler avec ses contrats et sa fille adolescente, a toute sa place dans le débat très actuel sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Il restait alors à savoir si le film tiendrait aussi bien sa ligne que son héroïne.

Gil Bok-Soon est une redoutable tueuse qui n’a jamais raté une mission. Elle est également une mère célibataire qui doit élever une adolescente en pleine crise. Alors qu’elle doit renouveler son contrat de travail, Gil Bok-soon se retrouve impliquée dans une confrontation à la résolution potentiellement fatale. 

Semblant tout droit sorti du générateur à synopsis de la plateforme, le postulat de Kill Boksoon n’était que moyennement engageant. Néanmoins, le talent réuni devant et derrière la caméra avait attisé une certaine curiosité et augurait quelques promesses dont, il faut le reconnaitre, certaines sont réalisées. En effet, il y a beaucoup à aimer dans ce Kill Boksoon, à commencer par son héroïne éponyme dont on tombe sous le charme dès la cocasse scène d’ouverture (avec un savoureux caméo en prime).

Une référence dans le secteur compétitif de la criminalité contractuelle, Bok-soon a beau dézinguer du yakuza en plein Séoul avec la nonchalance d’une professionnelle aguerrie, elle tremble à l’idée de confronter son adolescente sur le paquet de cigarettes trouvé dans le sac à linge sale. Le choix de Jeon Do-yeon pour l’incarner est l’une des nombreuses bonnes idées de ce plaisant thriller d’action. Flairant l’opportunité de faire une pause dans les rôles de mater dolorosa ou d’âme tourmentée auxquels elle est plus souvent associée, la comédienne ne boude pas son plaisir à jouer cette badass, au meilleur sens du terme. Elle impose son charisme et son autorité tranquille tout le long du film, sans oublier d’injecter une bonne dose de second degré à un personnage aussi douée et ambitieuse qu’aisément faillible et susceptible aux préjugés comme aux flatteries.

A l’inverse de son personnage un peu dépassé, le film trouve, lui, bien la balance entre l’intrigue criminelle et la relation mère/fille. On nous épargne un trop grand détour sur les traumatismes du passé da la protagoniste pour se concentrer sur la situation présente et les difficultés qui en découlent. Le film maintient assez de distance entre les deux univers pour les laisser exister indépendamment avec leurs propres enjeux mais distille suffisamment d’allusions pour que les révélations, et autres intrusions, surviennent de manière plutôt organique (sans avoir besoin de recourir au cliché du genre, type enlèvement de l’enfant ou découverte fracassante). L’excellent Sans Pitié illustrait remarquablement la capacité de Byun Sung-hyun à mettre en scène les rapports de pouvoir et les changements de loyauté. Il en fait amplement bénéficier Kill Boksoon dans les scènes dépeignant les coulisses de cette grande entreprise de criminalité version « start up nation » (que l’on aimerait voir davantage) tout comme dans les scènes de confrontation entre la mère et la fille que l’une et l’autre apparente à une mise en danger pour différentes raisons.

Pourtant, et en dépit de ces qualités, Kill Boksoon donne l’impression très frustrante de ne jamais aller ni au fond de son récit, ni au bout de son potentiel. Le film remplit son cahier des charges avec efficacité et un rythme maîtrisé mais il ne parvient pas tout à fait à dépasser la frontière de ce qui reste un visionnage sympathique mais pas aussi mémorable ou captivant qu’il pourrait l’être s’il se donnait les moyens de transcender un peu son point de départ. La faute à un scénario qui, contrairement à ses précédents films sondant méthodiquement la perte de moralité, ne s’aventure jamais vraiment au-delà de ce qui est attendu, ou acceptable. Si la part sombre de son personnage est effleurée, la résolution demeure bien propre, tout comme son impact.

Malgré une durée de 2h20, le film semble pris de court quand arrive le moment d’adresser les nombreux fils narratifs introduits, en particulier les parties les plus ambiguës de son intrigue (la gestion de la criminalité comme une corporation, les rapports de pouvoir aux prises avec les émotions, le conflit de moralité face aux circonstances, la transmission des instincts, etc.). Il en va de même pour les personnages secondaires amenés de manière prometteuse et évacués les uns après les autres, au mieux de manière décevante et au pire, de manière expéditive. Ainsi, on espérait mieux pour les partitions pourtant intrigantes de Koo Kyo-hwan et Esom tandis que le fidèle Sol Kyung-gu a finalement assez peu à faire de son magnat de la flingue en crise sentimentale. La relation mère/fille réserve quelques scènes plutôt touchantes (avec Kim Si-a, la petite fille de The House of Us, qui nous file un bon coup de vieux) même si la résolution semble un peu facile, mais les autres relations peinent à se démarquer. L’investissement dans les enjeux finaux du film est alors tout relatif et nous laisse finalement attentif à la forme et désengagé du fond.

Ceci n’entache en rien tout le bien que l’on pense de Byun Sung-hyun. S’il le fait avec moins de brio et de fraîcheur que pour ses trois précédents films, il confirme, une fois de plus, son talent avec une mise en scène faussement bordélique aux références assumées sans être encombrantes (à quelques afféteries près), en particulier lors des scènes d’action hyper calibrées et très efficaces. Si celles-ci sont incontestablement construites comme les morceaux de bravoure du film (en tête la scène d’ouverture jouissive et une tuerie générale au rythme effréné dans le QG des tueurs à gages), le cinéaste travaille autant la baston que ses préliminaires avec des dialogues savoureux et un certain sens des situations. La ligne est à moitié tenue donc pour ce Kill Boksoon qui n’a pas à rougir de ses efforts mais qui aurait pu être tellement plus intéressant si ce qui se profilait, par instants, derrière le divertissement bien huilé avait été davantage exploré.

Claire Lalaut

Kill Boksoon de Byun Sung-hyun. 2022. Corée du Sud. Disponible sur Netflix.

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