FFCP 2022 – Kingmaker de Byun Sung-hyun

Posté le 24 novembre 2022 par

Dans le cépage 2022 du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), le drame politique Kingmaker de Byun Sung-hyun, portrait miroir d’un homme et de son ombre, ouvre une fenêtre peu commune sur les espoirs et les désillusions d’un pays tourmenté par le népotisme de la dictature militaire. Un pays où certains oubliés de l’Histoire ont un jour été prêts à tout pour bouleverser l’ordre établi.

Dans la province sud-coréenne des années 1960, Seo Chang-dae, réfugié du Nord et véritable stratège, se prend de passion pour un homme politique idéaliste, Kim Woon-bum, qui l’intègre à son équipe en vue d’une élection. Chang-dae, pragmatique face au régime autoritaire qu’ils affrontent, est prêt à tous les stratagèmes pour faire triompher son candidat.

Le public sud-coréen ne cache pas son goût prononcé pour les films relatifs à l’histoire récente comme ancienne de son pays. Se hissant à la 14ème place du box-office local de 2022, avec pas moins de 800.000 spectateurs en salles et de 6 millions de dollars de recettes, Kingmaker s’assure une place confortable parmi les productions notoires de cette année.

Byun Sung-hyun, réalisateur émérite de The Merciless (2017), Watcha Wearin’ (2012) et The Beat Goes On (2010), est aux manettes de ce nouveau projet porté sur le contexte politique complexe et transitoire de la Corée des années 60-70. Si la forme du thriller est de coutume optée pour traduire le fond sensible d’un tel sujet d’époque, celle de Byun Sung-hyun converge singulièrement vers le drame et la comédie noire. Im Sang-soo s’essayait déjà en 2005, avec The President’s Last Bang, à ces ruptures de ton et de registre à contre-courant des poncifs du genre. Mais Kingmaker donne l’étrange sensation que jamais une telle approche n’a été conviée aux représentations de cette Corée sous haute tension où les trahisons d’un nouveau régime se confondent avec les précédentes. Byun Sung-hyun s’engouffre dans cette brèche pour y raconter la genèse animée et méconnue de la démocratie coréenne, ou de ce qu’elle tendait à paraître aux yeux des électeurs. Car Kingmaker ne maquille pas sa volonté de dévoiler les plus sombres coulisses du pouvoir, toute stratégie étant bonne à prendre pour l’atteindre, et surtout y rester.

Il n’est ici pas question de héros, de martyre ou de sauveur du peuple aux allures d’épiphanie. Kingmaker centre toute son attention, comme son titre l’indique, sur un faiseur de roi. Un faiseur de roi qui n’en a pas l’étoffe et dont les scrupules se monnaient au plus offrant. Seo Chang-dae, un réfugié du Nord campé par Lee Sun-kyun, s’est donné pour mission, quel qu’en soit le prix, de placer le candidat Kim Woon-bum, interprété par le tout aussi brillant Sol Kyung-gu, à la tête du pays. Le démocrate incarne, en surface, l’honnêteté et la transparence, valeurs que son vassal de l’ombre ne partage aucunement, et c’est tout ce qui fera la force de cette alliance improbable. « Tous les moyens sont bons » : une philosophie avec laquelle le film s’amuse sans arrêt au diapason des coups montés et des stratégies crapuleuses empruntées à l’ennemi. Byun Sung-hyun subvertit les attentes du public en jouant de la comédie comme d’une arme propice à faire d’une campagne politique un moment purement ludique où se concentrent toutes les fourberies dont l’homme est capable. Caustiques sont les stratagèmes de persuasion employés par le parti de Kim Woon-bum et tout aussi mordantes sont les traductions esthétiques du réalisateur. Le montage est en ce sens l’arme la plus efficace du film, découpant les scènes de sorte à ce que la mise en place détaillée d’une combine politique se substitue à sa finalité, devant laquelle, en connaissance de cause, on ne peut que saluer les astuces indubitablement malignes pour y parvenir.

Aussi le récit évolue-t-il en même temps que la morale du public qui se retrouve piégé à son tour d’adhérer à des idéaux dont les mécanismes bien huilés ne seront révélés que plus tard à l’écran. La scène de discours du candidat à la présidence en est un bon exemple : tandis que la supercherie de l’élection est dévoilée au grand jour par l’opposition, Sol Kyung-gu reprend le dessus en conférant à son personnage d’uniques talents d’orateur par son jeu corporel et impliqué. C’est ainsi que le spectateur aurait presque plus l’impression de soutenir une personnalité le temps d’un film, que de regarder le film en question. Mais Kingmaker, derrière sa décortication divertissante de manigances politiques, est aussi et avant tout un drame. Chaque lumière a son ombre, et l’une ne peut exister sans l’autre. Bien que le film ne se donne la peine de nous accrocher émotionnellement à ces personnages dès le début, en les présentant comme si notre attachement à leur égard était inné, il ne manquera pas de pénétrer leur intimité par la suite. Seo Chang-dae est, en quelque sorte, un anti-héros tragique destiné à occuper le hors-champ et les zones d’obscurité du cadre. Byun Sung-hyun se complaît dans ces jeux d’ombre et de lumière, manifestement le moyen visuel le plus parlant pour refléter l’exposition des personnages dans le récit et à l’écran.

Il en va de même pour la représentation nuancée des différents partis, de l’idéalisme et de la machine politique propagandiste qui trouvent leurs parallèles dans la Corée d’aujourd’hui, en proie à des divisions sociétales et des tensions intergénérationnelles dont beaucoup sont fabriquées par cette même machine politique en vue de conserver le pouvoir. En définitive, Kingmaker se conclut amèrement sur un revers de médaille et sur les représailles d’un faiseur de roi pris à son propre jeu dont il eut un jour été le maître. Ne reste qu’à espérer une sortie en salles pour l’un des films coréens les plus mémorables de cette année 2022.

Richard Guerry.

Kingmaker de Byun Sung-hyun. Corée du Sud. 2022. Projeté au FFCP 2022.

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