EN SALLES – Nos Années sauvages de Wong Kar-wai

Posté le 30 juin 2022 par

Wong Kar-wai est de retour dans nos salles obscures. Pas avec un nouveau film, mais avec Nos Années sauvages, réalisé en 1990 et sorti initialement en France en 1996, qui se refait une beauté avec une restauration 4k.

Yuddy collectionne les conquêtes et n’en peut vite plus de ces jeunes femmes qui, à peine séduites, imaginent déjà la vie à deux, le mariage, la monogamie. Pas son truc. Exit Su, trop fleur bleue, le voilà désormais qui fréquente Leung, un peu plus affranchie – elle danse dans des night-clubs. Du coup, Su attend en bas de l’appartement de son ancien amant, inconsolable, quand surgit, prêt à la secourir, le policier de proximité qui fait sa ronde dans le Hong-Kong des années 60.

Avec son premier film As Tears Go By, le talent de Wong Kar-wai s’était révélé à l’état brut mais ne prenait pas totalement son envol, coincé par le genre très codifié dans lequel s’inscrivait ce galop d’essai, le polar hongkongais. Nos Années sauvages est donc le film de l’affirmation, où le réalisateur pose tout les codes narratifs, esthétiques et thématiques constituant l’essence de son cinéma.

Sans réelle intrigue conductrice le récit (en partie inspirée de souvenirs, rencontres de jeunesse du réalisateur) est prétexte à naviguer entre différents jeunes gens dans le Hong Kong des 60’s dont les tourments et interrogations amoureux et/ou existentiels se suivent dans une atmosphère de spleen et de mélancolie envoûtante. En tête on trouve Leslie Cheung, séducteur froid et blasé dont la rudesse avec les femmes dissimule la fêlure d’une identité floue du fait de ses origines inconnues. Il est le pilier du récit et autour de lui s’agitent les autres personnages, que ce soit ses amis (Jacky Cheung) ou conquêtes (Maggie Cheung et Carina Lau). Tous sont dans le doute, incertains et torturés quant à leur avenirs, professionnel comme sentimental.

Wong Kar-wai déploie son art unique pour le moment suspendu, détaché du temps, avec maestria. La magnifique séquence d’ouverture où Leslie Cheung séduit Maggie Cheung, la ballade nocturne de celle-ci avec le policier Andy Lau, le final au Philippines, le réalisateurs distille les scènes magiques où le tourbillon de sentiments qui agite les héros fait le lien d’une trame libre et détachée des contraintes de la narration classique. Les voix off multipliées entre questionnements existentiels et banalités, la bande son indolente bercée d’Amérique du Sud ou encore la gestuelle poseuse et très étudiée de chacun, tout concourt à une tonalité désenchantée et nostalgique.

Le film révèle ou montre des acteurs sous un jour qu’on ne leur connaissait pas. Jusqu’ici réduite au rôle de faire valoir féminin dans les films de Jackie ChanMaggie Cheung (déjà dans As Tears Go By) déploie une grâce, une présence et une beauté qui va l’élever au sommet du cinéma de Hong Kong les années suivantes. Le passage où elle erre sous la pluie morte de chagrin après le comportement odieux de Yuddy est une de ses plus belles prestations. Jacky Cheung plus connu pour ses performance comiques (même si Une Balle dans la tête de John Woo a révélé son potentiel dans un registre dramatique) est splendide dans le rôle discret d’amoureux transi et Leslie Cheung confirme son statut dans ce rôle tout en intériorité et froideur. D’un personnage potentiellement antipathique, il parvient à faire ressentir bouillonnement et questionnement intérieur.

Un des plus beaux films de son auteur qui remaniera ses atouts dans une veine plus galvanisante dans le magique Chungking Express à venir, même si l’échec commercial du film (sauvé par la reconnaissance critique locale puis internationale) signera le glas de la suite prévue et dont on retrouve des traces semble-t-il dans In The Mood for Love et 2046.

Justin Kwedi. 

Nos Années sauvages de Wong Kar-wai. Hong Kong. 1990. En salles le 29/06/2022