Pour Halloween, Mubi a mis en ligne un grand film de la J-horror : Cure, réalisé par Kurosawa Kiyoshi en 1997.
L’inspecteur Takabe est chargé d’enquêter sur une série de crimes mystérieux. En effet, l’assassin est systématiquement retrouvé hébété et amnésique aux côtés de sa malheureuse victime. Et curieusement, même si les meurtriers sont à chaque fois différents, les cadavres ont tous la gorge tranchée en croix. La police appréhende un vagabond soupçonné d’avoir rencontré chaque assassin avant son forfait.
Cure est un tournant dans la carrière de Kurosawa Kiyoshi, une première belle synthèse de ses obsessions et l’œuvre de la reconnaissance occidentale. Le réalisateur s’était jusque-là promené à la marge du cinéma japonais, entre court-métrages expérimentaux marqués par ses influences de genre, expérience de studio compliquée à la Nikkatsu et tournage à l’économie pour la télévision et le marché du V-Cinéma. Cure marque ses retrouvailles avec le cinéma et bien que sous influence de ses modèles américains (l’atmosphère urbaine sinistre et le ton glacial évoquent le Richard Fleischer de L’Étrangleur de Boston (1968) et L’Étrangleur de la place Rillington (1971)), le film est une porte d’entrée parfaite à son style.
Le mal dans sa nature incarnée et à la fois poreuse et infectieuse marque toute la série de grands films fantastiques de l’époque chez Kurosawa. Dans Charisma (1999), un arbre aux vertus surnaturelles a une étrange influence sur la population tandis que Kaïro (2000) voit carrément le réseau internet comme vecteur infini de la propagation de ce mal indicible. Dans Cure, le mal s’affiche à travers des crimes mystérieux dont le procédé macabre est pourtant l’œuvre de tueurs différents. Kurosawa montre progressivement le cheminement qui mène à ces meurtres. Ce sont d’abord les scènes de crimes sordides et les meurtriers hébétés par leur acte, puis le surgissement neutre, absurde et incompréhensible de la violence chez les quidams. Enfin nous découvrons ce qui précède avec l’assassin hypnotiseur Mamiya (Hagiwara Masato) dont la vulnérabilité de façade amadoue ses victimes avant qu’un rituel étudié ne les soumettent et les incitent la barbarie. Une fois le déroulement ainsi détaillé (avec ses variations comme la flamme d’un briquet ou une coulée d’eau entérinant l’assujettissement), Kurosawa instaure une tension sourde où la frayeur naît non pas de l’explosion inattendue de la violence mais de son attente inéluctable et fébrile. Nul besoin de musique ou d’un découpage suggestif, la mort surgit dans une neutralité où se conjuguent le détachement des meurtriers sous hypnose et une mise en scène minimaliste qui rend l’angoisse plus palpable encore. On pense notamment à ce plan d’ensemble filmé de loin où un policier abat son collègue avec un naturel terrifiant. De même, les jeux sur l’ellipse amènent les visions d’horreur comme une évidence plutôt qu’une surprise quand nous découvrirons les ravages méticuleux de cette femme médecin sur un cadavre dans des toilettes publiques.
Les deux héros sont les revers d’une même pièce dans cette symbolique du mal. L’inspecteur Takabe (Yakusho Koji) est ainsi écrasé par les horreurs auxquelles il assiste dans son métier mais aussi aux maux de son foyer où il soigne son épouse névrosée. Forcé de cloisonner face à ces deux situations dramatiques, il trouve un adversaire indéchiffrable à travers l’amnésique Mamiya. Celui-ci est une page vide renvoyant chaque interlocuteur à sa propre frustration et violence contenue qu’il réveiller. Kurosawa en joue par le dialogue creux et répétitif de Mamiya, ainsi qu’un découpage qui articule un piège où se laisse happer la victime passant de confesseur à confessé. Mamiya semble en effet représenter la catharsis incarnée de cette société japonaise où il faut toujours masquer ses émotions et faire bonne mesure face aux autres. Le personnage fait office de déclic à cette violence sourde et contenue qu’il laisse donc exploser au hasard chez ses victimes. Chez Takabe ayant mentalement séparé ses problèmes domestiques et professionnels, cette infection du mal est plus diffuse. Les inserts étranges, les hallucinations et le jeu de plus en plus fébrile de Yakusho Koji illustrent donc cette infiltration insidieuse du démon dans la psyché et la réalité du héros. La traque puis le duel des deux personnages captive ainsi de bout en bout même si le film patine un peu plus une fois Mamiya emprisonné et surtout quand il tente de donner un semblant d’explication (sur le passé de Mamiya, sur la fascination pour Mesmer). Néanmoins, le malaise et l’ambiguïté se maintiennent jusqu’au bout, notamment par un acte final de Takabe dont on ne saura s’il élimine le mal ou au contraire le propage définitivement. Une question qui trouve sans doute sa réponse dans un plan-séquence absolument glaçant.
Justin Kwedi
Cure de Kurosawa Kiyoshi. Japon. 1997. Disponible sur Mubi