Cette nouvelle édition du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) commence sous de bons auspices, puisque pour inaugurer cette 16e édition, a été projeté à l’ouverture le très attendu Escape from Mogadishu, le nouveau long métrage de Ryoo Seung-wan. L’attente était à son comble quand on se souvient de l’enthousiasme et de l’excitation provoqués par ses précédents films.
Les tristes événements qui ont secoué la Somalie en 1990 et d’autres drames survenus dans les pays du Moyen-Orient ces dernières années impliquant des forces étrangères ou des diplomates ont largement influencé Hollywood, toujours en quête de bonnes histoires pour mettre en scène sa puissance militaire. Ridley Scott a révolutionné la façon de filmer la guerre dite moderne avec l’excellent Black Hawk Dawn en 2001, et Terry George avait consacré son film Hotel Rwanda (2004) aux horreurs commises durant ce génocide. Michael Bay avait quant à lui déployé son génie pyrotechnique pour filmer le siège de l’ambassade américaine en Libye en 2012 dans 13 Hours et Argo de Ben Affleck, qui raconte l’exfiltration de l’ambassade américaine à Téhéran en 1979, fut récompensé aux Oscars.
Autant dire que la tâche était plutôt ardue pour Ryoo Seung-wan. Plus encore, il était attendu au tournant après avoir signé Battleship Island, excellent film qui mêle drame historique et scènes d’action épiques tournées en studio. Ce film, que l’on peut considérer aisément comme l’un des meilleurs films (ou le meilleur ?) d’action des années 2010, nous avait littéralement scotchés à notre siège, et on attendait tout fébrile de découvrir ce qui allait suivre. Les rumeurs parlaient de suites à ses précédents succès The Berlin File et Veteran, film injustement boudé par les distributeurs français.
Au début des années 90, la tension monte à Mogadiscio. Lorsque la guerre civile éclate dans les rues de la capitale somalienne, les ambassades de Corée du Sud et de Corée du Nord, prises entre les feux des forces gouvernementales et des rebelles, doivent trouver un moyen de s’en sortir. Quitte à laisser leurs différends diplomatiques de côté.
Ryoo Seung-wan a fait le bon choix de traiter son histoire comme un drame humain en temps de guerre civile et de guerre froide. Dans sa première partie, plus légère, on suit le diplomate sud-coréen Han (Kim Yoon-seok) qui cherche à gagner les faveurs du Président somalien Barré. Ses ambitions sont compromises par son rival du Nord bien installé dans la région. Mais ce conflit fratricide est vite mis entre parenthèses lorsque les guerres tribales éclatent et plongent le pays à feu et à sang. Le film bascule alors dans un récit de survie au cours duquel les deux groupes de réfugiés coréens devront mettre de côté leurs griefs et s’unir pour trouver un moyen de sortir sains et saufs du pays.
Le cinéaste introduit son contexte de manière claire en quelques scènes et décrit un pays ravagé par la pauvreté, gouverné par des dirigeants corrompus. Il prend le parti de résumer les tumultes qui gangrènent la Somalie en une rébellion armée qui veut renverser le pouvoir en place, mais il parvient assez justement à donner un peu plus de nuances en caractérisant certains personnages qui ont un rôle plus important dans le déroulé de l’intrigue. Une fois les enjeux en place, le scénario va traiter en parallèle les tentatives d’abord infructueuses des deux ambassades coréennes à quitter le pays pour enfin se consacrer au rapprochement inévitable des deux pôles ennemis. Dans cette guerre froide, Ryoo Seung-wan joue des symétries. Chaque ambassadeur est accompagné de son collègue des services de renseignement. Cela permet notamment au réalisateur de donner une certaine dynamique dans les échanges. L’ambassadeur Han et son homologue Lim privilégient le dialogue diplomatique et leurs hommes de mains s’expriment quant à eux dans des échanges musclés et idéologiques. Une scène résume parfaitement, et en quelques gestes symboliques, les rapprochements entre le Sud et le Nord autour d’une table à manger, lorsqu’une invitée nord-coréenne aide son hôte du Sud, sans oser croiser le regard, à séparer les feuilles de sésame avec les baguettes.
Pour sa mise en scène, Ryoo Seung-wan fait preuve, comme à son habitude, d’une certaine sobriété et d’élégance dans son découpage. Pas d’effets de style superflus. Tourné au Maroc, le film jouit d’un impressionnant travail de reconstitution dans des superbes plans d’ensemble introductifs, et d’un soin particulier apporté aux images tournées en longues focales au moyen de lentilles anamorphiques. Elles conférent aux photogrammes un rendu assez pictural qui semble tout droit hérité du style très identifiable des frères Tony et Ridley Scott. Comme à son habitude, Ryoo Seung-wan privilégie les effets spéciaux sur plateau et parvient à recréer un sentiment de chaos en donnant à ces mouvements de foules et ces scènes d’affrontements urbains un semblant de vérité actuelle. Il plonge littéralement ces personnages, et le spectateur avec, au cœur de ce conflit civil qui oppose les militaires à une masse armée anonyme dans laquelle on retrouve des enfants soldats. Le danger semble surgir à chaque instant et on ne sait à qui se fier. Ryoo Seung-wan maintient tout du long son suspense, en développant ses personnages et les liens qui les unissent et souvent les opposent, en créant de l’empathie. Et pour y parvenir, il est aidé par un groupe d’acteurs talentueux et très impliqués dans leurs rôles. On ne présente plus Kim Yoon-seok, toujours très juste dans son rôle de diplomate investi et engagé humainement soutenu par un jeune comparse des renseignements, arrogant et bien entraîné, joué avec truculence par Jo In-sung. En face, le vétéran Heo Jun-ho campe un diplomate du Nord qui sort des clichés de l’officiel communiste obtus. Il est accompagné de son chef de parti zélé interprété par l’excellent Koo Gyo-wan que l’on a pu découvrir récemment sur Netflix dans le drama Deserted Pursuit.
Véritable chouchou du festival, Ryoo Seung-wan aura de nouveau régalé le public avec un film faisant preuve comme à son habitude d’une grande rigueur technique et d’une maîtrise du récit qui tient le spectateur en haleine pendant les deux heures de film pour se conclure sur une note d’émotion toute en retenue. Une bonne façon de démarrer le festival.
Martin Debat
Escape From Mogadishu de Ryoo Seung-wan. Corée. 2021. Projeté au FFCP 2021