Cinéma du Réel 2021 – Tellurian Drama de Riar Rizaldi

Posté le 20 mars 2021 par

L’édition en ligne du festival Cinéma du Réel continue en 2021 à faire la part belle à toutes les formes du documentaire, sans céder aux classifications restrictives. Le court-métrage indonésien du cinéaste-plasticien Riar Rizaldi, Tellurian Drama navigue sans boussole entre essai historique, expérimentation et traité topographique des îles de Java. Tout cela pour approcher, avec la prudence d’un archéologue, l’histoire d’une radio néerlandaise fondée en Indonésie en 1923.

Le cheminement de ce court de 26minutes part des écrits du Dr. Munarwan, un spécialiste en géo-ingénierie qui a publié un article en 1986 sur la revitalisation du Mont Puntang, un des principaux sites géographiques de Java occidental. De ces archives écrites, différents axes se succèdent pour approcher le lieu, son histoire et les projets pour allier sa culture séculaire et les aspirations contemporaines d’industrialisation (et de déforestation). Traversés par plusieurs écrits qui se superposent aux images ou font image, les mots apparaissent dans une police oblique, comme humectés par le climat équatorial et déformés par les années. Les derniers mots du film, signés par le même Dr. Munarwan, révèlent la ligne de conduite qui assemble toutes les séquences : « … utilisant les ruines du passé dans le présent pour imaginer le futur à venir et reconstruire la réalité. »

Comme le festival, le film fait feu de tout bois. De son expérience de plasticien, Riar Rizaldi tente de faire sens à partir d’éléments hétérogènes, et en l’occurrence de créer de la mythologie. C’est d’ailleurs ce qui rend le film si intéressant, malgré son opacité. Là où l’œuvre se loge, là où l’auteur s’aventure en cinéma, c’est précisément dans la béance de l’histoire. Entre le projet de la radio néerlandaise de 1923 et le désir des Indonésiens en 2020 de ressusciter ce projet, Tellurian Drama essaie d’enquêter sur ce qui s’est produit. Images d’archive à l’appui, plans sublimes des montagnes fumantes, observation des travaux de déforestation, le film construit une mythologie, invente une histoire sensible. Rien de scolastique ne ressort du film (vous n’en saurez guère plus sur le Dr. Munarwan, la Radio Malabar ou l’histoire des îles de Java). Mais le court-métrage offre une sensation composite, une expérience bigarrée et tâche (avec plus ou moins de réussite, selon la disponibilité affective du spectateur) d’embrasser une certaine forme de l’histoire coloniale et néocoloniale de l’Indonésie. Le tout évoque, par sa radicalité plastique, les premiers films du philippin Raya Martin (A Short film about the Indio Nacional, Independencia).

Les principaux atouts de Tellurian Drama (l’incluant dans un registre du documentaire épiphanique, soucieux de sourdre de la nature sa beauté secrète), ce sont ses plans fixes de végétation au crépuscule ou à l’aube, enserrant des ruines et nimbés dans un sfumato planant. Ce sont aussi ses musiques hétéroclites : tantôt ambient, tantôt traditionnelle (jouée à la harpe horizontale, comme le koto japonais), parfois à la lisière des deux. S’il peut parfois y avoir des raccords apparemment abscons et le sentiment distrait d’un manque de cohérence, la beauté éparse par laquelle le court vient rattraper l’attention l’empêche de verser dans l’ennui. L’audace formelle avec laquelle il s’affranchit du seul domaine du documentaire lui donne toute sa place au Cinéma du Réel.

Flavien Poncet

Tellurian Drama de Riar Rizaldi. 2020. Indonésie. Programmé au festival Cinéma du Réel 2021.

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