NETFLIX – Le Lien du sang (Mother) d’Omori Tatsushi : lien indéfectible

Posté le 19 novembre 2020 par

Après un succès remarqué en salles pour Dans un Jardin qu’on dirait éternel, le réalisateur Omori Tatsushi revient à nous par le petit écran, sur Netflix, avec Le Lien du sang, ou Mother dans son titre international.

Shuhei n’est pas un petit garçon comme les autres. Déscolarisé, souvent livré à lui-même pendant plusieurs jours, sa mère, Akiko, va et vient d’homme en homme et quémande de l’argent ça et là pour subvenir à son mode de vie volage. Rejetés par les grands-parents et la sœur, ils acceptent de se faire aider par les organismes sociaux. Un jour, poussée à bout, la mère de Shuhei va lui demander de faire quelque chose d’inimaginable…

Mother est de ces films qui tétanisent le spectateur et entretiennent une image, une impression forte dans son esprit. Il convoque évidemment Kore-eda Hirokazu et Nobody Knows, pour parvenir à s’en écarter dans son déroulé. Car si Nobody Knows nourrit son récit de l’absence parentale, Mother s’attache à faire le portrait d’une relation hautement toxique entre une mère et son fils, une mère qui a beaucoup trop d’emprise sur son enfant.

À aucun moment le récit n’explique pourquoi Akiko a basculé dans un tel manque de sociabilisation et d’empathie envers les autres. C’est un être basiquement égoïste, qui se sert de son charme et de ses enfants pour obtenir ce qu’elle souhaite et ainsi, semble-t-il, ne pas s’encombrer des composantes monotones du quotidien. Ce faisant, Mother se révèle très efficace, car il égare les repères du spectateur. Il n’y a pas d’explication à sa toxicité, et les maux qu’elle provoque reflètent ceux de notre société : la violence y est parfois gratuite, ou tout du moins, largement excessive par rapport au semblant d’explication que l’on pourrait y trouver – on ne peut certainement pas attribuer au personnage une prise de position idéologique, mais on peut imaginer qu’elle refuse le modèle de société en place qu’elle trouverait au bas mot d’un ennui mortel et bourré de contraintes. Tout cela n’est volontairement pas établi afin de s’attarder plus en détail sur le portrait de la cellule familiale, d’une violence et d’une froideur sans pareilles, et aussi pourtant d’une grande solidité. Shuhei a une petite sœur dont il s’occupe avec tendresse. En quelque sorte, sa mère lui délègue la parentalité, lui permettant ainsi d’avoir une emprise totale sur Shuhei, d’en faire son seul outil. Passée la première partie de l’intrigue, elle ne quittera plus ses enfants. Il se pourrait qu’elle les considère comme des atouts dans la vie à bien des égards. Il se pourrait également qu’elle les aime comme une mère aime ses enfants malgré tout. Une chose peut laisser cette fenêtre d’interprétation ouverte : elle refuse catégoriquement d’avorter lorsqu’elle est enceinte de la sœur de Shuhei, elle a l’air presque heureuse, dans ses mots, de donner une nouvelle fois naissance. Enfin, la figure du père est matérialisée par l’amant d’Akiko, l’homme du host club, dont la mère de Shuhei semble énamourée malgré sa main leste et ses longues disparitions. Il convient même de dire qu’il tire Akiko vers le pire.

Akiko est une mauvaise mère, mais elle n’est pas que cela. Elle refuse toute porte de sortie à sa situation délétère, et c’est ce qui rend sa personnalité si insaisissable. Lorsque Shuhei commence à s’épanouir dans un travail d’apprenti, elle sent son petit univers lui échapper et entraîne tout son monde vers une fuite infinie, jusqu’à une décision folle. Les acteurs qui interprètent Shuhei à deux âges sont dirigés pour être monolithiques et avoir l’air d’encaisser en continu, pendant qu’Akiko ne semble jamais pouvoir être détournée de ses désirs. De ces deux protagonistes, l’un impassible, l’autre imperturbable, Omori coud un chemin funeste, à travers une mise en scène froide, dans le choix du cadre comme dans la colorimétrie. Il parvient, surtout, à ménager un certain sens du suspense, et de manière constante. Le spectateur est balloté de situations inacceptables en évènements effroyables, et comme nous l’avons dit, sans réel début d’explication à ce qu’il voit chez ces personnages. Face à ces choses que nous voyons, on attend l’ultime dérapage, qui finit par advenir.

Avec Mother, Omori frappe fort, et balaye la sérénité qu’il nous avait offerte avec Dans un Jardin qu’on dirait éternel. Il apporte sa pierre aux fictions sur les cellules familiales en dysfonction, un registre dans lequel le Japon s’est spécialisé, et qui puise tristement dans certains faits divers.

Maxime Bauer.

Le Lien du sang (Mother) d’Omori Tatsushi. Japon. 2020. Disponible sur Netflix le 03/11/2020.

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