Kim Jee-Woon : la Masterclass

Posté le 5 juillet 2011 par

A l’occasion de la sortie dans les salles française de J’ai rencontré le diable (I saw the devil) ce mercredi 6 juillet, East Asia est allé à la rencontre de son réalisateur Kim Jee-woon, lors de sa Masterclass au dernier festival de Deauville. Discret, presque timide, plus volontiers technique que théoricien, le bonhomme n’a décidément rien de diabolique… Difficile de croire que s’imaginent sous sa casquette les images parmi les plus iconiques du cinéma coréen de la décennie écoulée ! Retranscription par Victor Lopez.


Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?

Je regardais beaucoup de film quand j’étais petit mais je n’envisageais pas d’en faire un métier. Pour tout vous dire, j’ai passé dix ans au chômage, et à la huitième année, je me suis séparé de ma petite copine. Peut-être parce que je n’arrivais pas à vaincre la tristesse qui m’avait envahie face à cette séparation, j’ai eu un accident de voiture. Suite à cela, j’avais un peu besoin d’argent, et comme j’étais sans emploi, je n’avais aucune source de revenu. Je me suis donc dit : « pourquoi ne pas écrire un scénario ? ». C’est ce que j’ai fait ! Je l’ai ensuite envoyé à un concours et il a été retenu. Je n’ai donc pas écrit un scénario pour devenir réalisateur, mais seulement pour réunir un peu d’argent afin de payer l’accident de voiture que j’avais causé ! Mais on m’a dit que ce que j’avais écrit était tellement bizarre que personne d’autre ne pouvait le réaliser. C’est ainsi que j’ai débuté dans le cinéma. C’est à l’image de ma vie : parsemé de hasard assez drôle…

Malgré cette origine, le cinéma m’est aujourd’hui aussi indispensable que l’air que je respire et je ne pourrai pas faire autre chose. Faire des films est presque comme un bouclier contre mon envie de me suicider… Ce n’est pas une réflexion profonde qui m’a amené au cinéma, mais le hasard, même si j’étais fan de films. Mais faire des films me permet de donner le meilleur de moi-même et je continue à essayer de faire de bons films.

La Masterclass

Avant de commencer, je voudrais dire que je suis très surpris qu’il y ait autant de monde. J’ai déjà fait quelques masterclass et il n’y a généralement que cinq ou six personnes, alors qu’ici, la salle est pleine ! Ce qui m’angoisse un peu. Je me rappelle de Woody Allen, qui était aussi très angoissé avant de donner une masterclass à l’université de Harvard et qui ne savait pas trop quoi dire, et des frères Coen, qui pensaient ne pas savoir parler devant un public, et ils ont pensés que la meilleure chose était de montrer des films au public. Si vous êtes venus pour percer le secret de mes films, vous allez donc être déçus car il n’y a pas de secret, mais peut-être sera-ce l’occasion de vous expliquer plus en détail comment je fais, de vous raconter mes expériences et des anecdotes, afin que vous vous appropriez un peu plus mes films.

L’inspiration picturale

Petit, j’aimais beaucoup faire des bandes-dessinées. Mais c’est un métier considéré comme instable en Corée, et je me rappelle que mon père avait déchiré les histoires que j’avais faites. J’avais pleuré, avant de recomposer une à une les cases de la B.D. C’est peut-être à ce moment-là que j’ai développé le sens du montage… En tout cas, cette sensibilité à la bande-dessinée m’a beaucoup aidé. Je parlais récemment à un ami de la rancœur que j’avais gardé contre mon père qui m’avait empêché de continuer dans cette voie, alors que j’aurai peut-être pu devenir le Mozart de la peinture ! Mais il m’a répondu que j’étais quand même devenu peintre, sauf qu’au lieu de dessiner sur une toile, je dessinais sur un écran…

Quand je fais des films, je m’intéresse d’abord à l’aspect visuel. Ce fut par exemple le point de départ de Deux Sœurs. A l’époque, j’étais tombé sur un énorme poster photographique Kodac, où l’on voyait deux jeunes filles qui se tenaient la main, et qui couraient, de dos, dans une prairie. Je me suis alors demandé ce qui pouvait arriver avant et après cette image fixe. Je me suis demandé ce qu’il leur adviendrait si elles se retrouvaient confronté à un certain événement, ce qui a donné un film sombre, triste, de mauvaise augure, à partir d’une aussi belle photo ! Et c’est très étrange, car dans la photo, aucune information ne laissait présager quelque chose de négatif, alors que quelque chose en moi percevait quelque chose de plus sinistre. Et si vous percevez quelque chose de sombre, que les autres ne perçoivent pas, dans quelque chose de joyeux, il faut aller au bout des choses et rester fidèle à ce que vous pensez et voyez.

Pour A Bitterswett Life, je suis parti d’un tableau d’Edward Hooper, où l’on voit, perdu dans une grande métropole, un homme de dos dans un restaurant complétement vide et de la solitude très profonde que j’avais ressenti face à l’œuvre. Je dis souvent que A Bittersweet Life est un film sur le dos d’un homme.

Le storyboard

Le storyboard est pour moi un élément de base sur un tournage. Je le compare toujours à une autoroute, pour que les voitures roulent bien sur le chemin du tournage du film. J’ai la conviction que tout se joue sur la scène du tournage. Concrètement, j’essaye de toucher les objets d’une scène, les accessoires, je bouge au sein du décor, j’entre dans la lumière pour voir l’ombre qui est projetée… J’essaye de m’inspirer de ce que peuvent raconter tous les éléments qu’il y a sur un plateau. Cela peut paraitre abstrait, ou ridicule, mais en m’appropriant tous ces éléments, des accessoires aux costumes, il y a un moment où ces objets m’adressent la parole…

Deux Sœurs et le suspens


Dans cette scène de Deux Sœurs qui vient d’être montrée, il n’y a rien de nouveau dans la composition des plans par rapport aux autres films qui provoquent le suspens. C’est une succession très banale de plans successifs. Ce qui change dans la scène, c’est le choix de la chose que vous voulez mettre en avant, la place du Focus. Le propre de l’horreur, c’est qu’il y a des choses imprévisibles qui arrivent, et donc, finalement, relier l’horreur et la comédie est quelque chose d’assez simple. Il y a beaucoup de films, comme Evil Dead ou La Famille Adams, qui jouent sur ce qu’un film peut procurer comme effet imprévisible.

Dans l’extrait que vous avez vu, on voit la maison qui est un peu perdue sur la colline, et on voit une femme qui a l’air d’une somnambule qui se lève et quelque chose autour des barreaux qui essaye d’entrer. Petit à petit, on sent que le rythme des battements de cœurs s’accélère… Il y a d’autres éléments techniques importants, comme la rapidité des mouvements de caméra. Je crois que c’est David Cronenberg qui avait dit que le secret de ses films résidait en la Dolly, une caméra qui permet des mouvements de travelings très fluides. C’est un mouvement complétement différent, lorsque l’on s’approche d’un objet par exemple, d’un zoom, et cela crée un effet tout autre. Je n’ai pas encore essayé (et je le ferais certainement un jour), mais je pense effectivement que la vitesse est lié à la réussite d’un effet.

En terme de mise en scène, on a l’impression que le personnage principal, le focus, est la petite fille, mais en fait, ce qui est important, c’est ce qui se passe autour d’elle, et que l’on ne voit pas. Si cette scène apporte du suspens, ce n’est en effet pas à cause de la petite fille qui tremble de peur, mais à cause de ce qui est hors-cadre. Je pense que la mise en scène n’est finalement pas grand-chose : c’est la différence entre ce qui se passe dans le cadre et hors-cadre.

A Bittersweet Life et dynamiter les codes d’une scène

Pour l’extrait de Deux Sœurs, je parlais pour la mise en scène de l’importance du hors-champs, ici, c’est plutôt le fait de rendre quelque chose de banal exceptionnel. La scène est simple : il s’agit juste d’un plan d’évasion d’un homme. On l’a tourné tout près de Seoul, dans une usine de manufacture de sacs, et on s’est demandé comment utiliser cet espace. Dans le scénario, il y avait juste des gangsters se battant avec le personnage principal. Je me suis donc demandé comment apporter quelque chose de nouveau en termes de réalisation dans une scène comme cela, que l’on a déjà tous vu. J’ai par exemple pensé qu’au lieu de se battre avec une simple matraque, celle-ci pourrait être en feu et apporter ainsi de l’intensité à la scène de combat. Il y a aussi la pluie, à laquelle s’ajoutent des flammes pour apporter une sorte de richesse visuelle.

Au début, on n’avait pas prévu d’utiliser la petite ruelle car on ne filme pas l’action dans un espace aussi étroit : c’était très difficile à filmer et la caméra avait même du mal à rentrer ! Mais la difficulté de l’épreuve a rendu la scène un peu plus spéciale. Alors bien sûr, le chorégraphe des combats ne comprenait pas pourquoi je voulais tourner une scène aussi compliquée dans un espace aussi réduit, c’était un vrai casse-tête. Je pense qu’un bon réalisateur est quelqu’un qui cherche toujours les problèmes. Son rôle est de donner à son équipe un problème à résoudre pour stimuler la créativité, et ce n’est pas leur lancer des défis pour les embêter.

Je me rappelle d’une scène lors de laquelle je devais envoyer de l’eau glaciale pour la pluie sur Lee Byung-Hun alors qu’il faisait très froid. La personne chargée d’envoyer l’eau était tellement désolée pour l’acteur qu’il n’y arrivait pas et se contentait d’envoyer quelques jets. J’y suis alors allé et ai ouvert le jet à fond. Lee Byung-Hun me l’avait reproché, disant que j’étais acharné et inhumain. Mais au contraire : on a pu finir en une seule prise ! Je lui ai donc dis que ce n’était pas parce que j’étais cruel, mais pour en finir au plus vite… Mais je crois qu’il m’en veut encore un peu pour cela ! Le métier de réalisateur apporte beaucoup de malentendus, car c’est justement en étant plus cruel qu’on pense aux autres et que l’on travaille pour les autres…

Le Bon, la brute et le cinglé et les références

Quand on m’avait demandé à Cannes quel type de film était A Bittersweet Life, j’avais dit que c’était une sorte de mélange entre l’univers de Jean-Pierre Melville et la violence de Kill Bill. Pour Le Bon, la brute et le cinglé, c’est un mélange de western européen et de cinéma asiatique. Alors pourquoi avoir fait un mélange des genres ? Parce qu’en fait, j’aime beaucoup le western, et j’avais envie de montrer ce qui m’avait fait aimer ce genre. Mais malheureusement, comme ce sont des films généralement assez lents, avec des scènes d’action fortes, j’avais l’impression que le western devenait de plus en plus lointain, distant du public d’aujourd’hui. J’ai donc gardé la culture originelle du western, en y ajoutant des éléments très dynamiques, qui pouvaient attirer un public plus vaste.

Le gros défi était que l’on avait un nombre de scènes d’action spectaculaire, alors que l’on n’avait pas un budget digne des films hollywoodiens comme Van Helsing ou Spider-Man. Le défi était donc de réaliser des scènes tout aussi spectaculaires. On avait par exemple besoin du matériel américain comme une flying cam, une caméra volante. Mais comme on n’avait pas les moyens, on a pris un flying man, qui prenait lui-même la camera dans les airs ! Les techniciens se balançaient sur des câbles, et suivaient les acteurs eux-mêmes sur des câbles ! C’est un système d’ignorants et d’inconscients !  Alors les scènes ne sont peut-être pas aussi nettes que dans Spider-Man, mais on a réussi à avoir quelque chose de très brut, et sans doute de très fort… En tout cas, ce n’est pas ce que l’on voit habituellement dans les films hollywoodiens : c’est le système coréen !

The Last Train et le projet américain

J’ai un projet de film au États-Unis, mais il n’y a aucune garantie que cela se fasse. Concrètement, l’acteur avec lequel je devrais le faire est Liam Nieson, et il a un agenda tellement chargé que je ne sais pas si on arrivera à faire le film ensemble. Je ne sais pas comment ça va se passer à Hollywood, mais si les américains m’ont contacté, j’imagine qu’ils apprécient ma sensibilité. Si c’est pour faire un film américain de plus, c’est complètement stupide de leur part de m’appeler d’aussi loin ! Je ne sais pas si je me battrais avec eux pour m’imposer, mais pour l’instant je suis confiant.

Propos recueillis au Festival de Deauville le 12/03/2011 lors de la Masterclass Kim Jee-Woon.

La critique de J’ai rencontré le diable par Olivier Smach ici !

La critique de J’airencontré le diable par Tony F. ici.

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