VIDEO – The Bold, the Corrupt and the Beautiful de Yang Ya-che

Posté le 10 juin 2020 par

Film remarqué au 54ème Golden Horse Film Festival, The Bold, the Corrupt and the Beautiful est le troisième film du réalisateur taïwanais Yang Ya-che. Sorti fraîchement en vidéo chez Spectrum Films, il met en scène une Kara Hui glaçante dans un contexte politique acide.

Madame Tang est antiquaire. Accompagnée de ses deux filles, dont la beauté de la plus âgée lui sert dans les affaires, elle fait office d’intermédiaire entre les différentes couches des élites taïwanaises, aussi bien la classe politique que les financiers. Tout dérape lorsqu’un différend oppose une banque, un cabinet d’aménagement urbain et des politiques : il en résulte la mort d’une famille entière proche de Madame Tang, assassinée. Un enquêteur est dépêché ; Madame Tang essaie alors d’abattre toutes ses cartes afin de cacher ses plus sombres secrets…

Le titre du film de Yang Ya-che en dit long sur l’intention de son metteur en scène, que ce soit la version internationale ou originale. The Bold, the Corrupt and the Beautiful renvoie à The Bold and the Beautiful, soit Amour, Gloire et Beauté : dans la promotion du film était mise en avant une dimension soap opera, en présentant un milieu bourgeois, le luxe, le manoir des Tang, etc. L’ajout d’un troisième temps, « The Corrupt », une connotation plus agressive, fait allusion à Sergio Leone et son Le Bon, la Brute et le Truand. Le titre anglais avance une intrigue située chez des élites en pleine luxure, à l’image de la fameuse série américaine dans laquelle tout le monde trompe tout le monde, d’un point de vue marital et moral. Dans le film de Yang, la tromperie est avant tout psychologique, mais n’exclut pas une facette vaguement érotique à travers le personnage de Wu Ke-xi, la fille aînée. L’ajout du troisième mot laisse entrevoir que le fond du film est terrible d’un point de vue moral. Le titre taïwanais, Guanyin in Blood, est, quant à lui, plus clair, et se traduit par « Guanyin sanglante », Guanyin étant la déesse protectrice de Taïwan…

Yang Ya-che fait le portrait d’un Taïwan qui se construit sur la tromperie et l’immoralité. Le renvoi à une histoire lointaine – l’allusion au Japon colonial ou les séquences entrecoupées de narration chantée chinoise traditionnelle – se mêle à la description d’un milieu politico-économique des plus sales. Yang Ya-che est un homme engagé, notamment pour l’environnement. Il n’est donc pas pas étonnant d’y trouver une sombre affaire de développement urbain en toile de fond du film, un projet sur lequel s’agrège aussi bien une dimension écologique que politique et financière. Du reste, ces personnages du milieu des élites s’agitent mais sont éclipsés par les agissements des trois protagonistes principaux, Madame Tang et ses filles. La grande histoire de Taïwan se noie dans les ambitions de la petite famille de Madame Tang, interprétée par Kara Hui d’une manière très subtile, et ses deux filles. Nous apprendrons au final que la cadette, composée par la jeune actrice Wen Qi, est un personnage complètement central et que le film s’articule autour d’elle. Elle cristallise à elle seule l’amour et la haine qui nourrit cette atmosphère malsaine, étant l’enjeu entre les personnages de Kara Hui et Wu Ke-xi.

Le film met toujours au centre ce triangle de personnages et se dirige peu à peu vers un dénouement sordide, dont l’effet fonctionne grâce à une atmosphère noire permanente et qui prend place dès le début. L’intrigue est trouble un long moment, car les dialogues ménagent les informations laissées au spectateur. Pour un public non-chinois, c’est d’autant plus difficile car le film jongle entre le mandarin, le taïwanais, le cantonais (et le japonais). Cela constitue malgré tout l’une des qualités principales du film, et forme une certaine complexité, une richesse d’un point de vue narratif. Le segment final dénote d’une grande noirceur et pourtant, à travers la réaction de Kara Hui, on décèle une capacité à aimer, malgré la froideur dont elle a fait preuve. Ceci est l’aspect mélodramatique du film, qui se mélange avec un fort suspense propre au thriller et surtout, une énorme charge politique à destination d’un milieu bourgeois vicié, qui s’adonne à l’entre-soi, à la trahison, à la violence. In fine, The Bold, the Corrupt and the Beautiful s’en prend à la construction du Taïwan démocrate, car ses bases seraient ultra-libérales et versent dans un aspect mafieux. On croirait le film très spécifique à son pays d’origine, mais ce propos est transposable dans un certain nombre de sociétés. Cette intention est d’ailleurs galvaudée, mais la construction qualitative du film lui rend son efficacité.

The Bold, the Corrupt and the Beautiful est un film stimulant, un drame de haute tenue et preuve du dynamisme du cinéma taïwanais contemporain. Avec Kara Hui en matrone charismatique, nous avons une nouvelle preuve que tous les cinémas chinois doivent beaucoup au cinéma de l’âge d’or de Hong Kong.

Bonus

L’édition de Spectrum présente deux bonus vidéo :

La présentation du film par Wafa Ghermani, spécialiste du cinéma taïwanais. Une fois encore, Wafa Ghermani contextualise à merveille ce film complexe et donne beaucoup de clés de compréhension.

Un avant-propos de Panos Kotzathanasis, journaliste du média Asian Movie Pulse. Son intervention complète celle de Wafa Ghermani et apporte d’autres clés et se double d’une analyse pertinente.

Le film-annonce.

Maxime Bauer.

The Bold, the Corrupt and the Beautiful de Yang Ya-che. Taïwan. 2017. Disponible en combo Blu-Ray/DVD en avril 2020 chez Spectrum Films.

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