VIDEO – The Saviour de Ronny Yu

Posté le 6 juin 2020 par

Après The Bride with White Hair, Spectrum Films continue de ressortir les films de Ronny Yu avec The Saviour, son second long-métrage, sorti en 1980. Polar tout en tension, il s’inscrit dans la mouvance de la nouvelle vague hongkongaise.

Un inspecteur de police aux méthodes expéditives est sur la trace d’un tueur en série qui s’en prend à des prostituées. Accompagné de l’une d’entre elles et d’un collègue, il soupçonne rapidement le coupable et tente de le confondre.

Avant The Saviour, aussi connu sous le titre La Justice d’un flic en France, Ronny Yu était un réalisateur novice avec son actif un seul long-métrage scénarisé et co-réalisé. Il est arrivé dans le cinéma sur le tard, et bien que disposant du background des auteurs de la nouvelle vague, il aborde ce premier film, The Servant (1979), d’une manière quasi non-professionnelle. Comme son intervention dans The Servant est diluée à travers la co-réalisation et l’aide des producteurs et du staff sur laquelle il a pu compter, on lit parfois que The Saviour est considéré comme son premier film. Le rockeur Teddy Robin Kwan en est le producteur, et ce n’est pas anodin. Déjà derrière Cops and Robbers d’Alex Cheung, Kwan fait partie de ces personnalités qui ont insufflé l’esprit de la nouvelle vague, et notamment son orientation polar. À l’orée des années 1980, les acteurs de la nouvelle vague hongkongaise puisent leur inspiration de divers horizons. Là où Tsui Hark ne s’écarte pas du wu xia pian/kung fu pian en réalisant Butterfly Murders en 1979 et Histoires de cannibales en 1980, Ann Hui s’inscrit rapidement dans le polar politique moderne avec The Story of Woo Viet en 1981 et Boat People en 1982. Ronny Yu, lui, contribue à la définition du polar hongkongais, tout en s’inspirant du film policier américain à la Clint Eastwood (Inspecteur Harry) et du giallo italien.

Ces références ont toutefois tendance à s’oublier face à la personnalité forte du film. Après une scène d’action conventionnelle mais efficace, le scénario développe un axe original, celui d’un policier qui veut parrainer un orphelin mais dont le quotidien est contrarié par sa profession : être policier, c’est se confronter à des aléas et à la mort. Derrière cette sous-intrigue, le personnage de l’inspecteur montre une deuxième facette, parallèle à l’ultra-violence de son métier, celle de la vie de famille et de la tranquillité du quotidien vers laquelle il veut tendre. En étant en retard pour venir chercher son filleul, on a la preuve que le rêve est incompatible avec sa qualité de policier. Le côtoiement d’un tel milieu apparaît alors comme une fatalité, une croix à porter, et cet état de fait se ressent dans la composition d’acteur de Pai Ying, interprète du personnage principal, la plupart du temps au visage sévère, et quelquefois avec un léger rictus, marque de cynisme quant à une situation dramatique. Pai Ying, dispose d’une « gueule » de cinéma. Bien que plus habitué aux wu xia pian (figure des films de la Shaw Brothers), l’atmosphère du polar lui va comme un gant.

Et alors, très rapidement, l’identité du tueur en série est dévoilée. Ses scènes d’exécution sont stylisées et sanglantes, d’où l’écho au giallo. Le profil psychologique du tueur fait preuve d’une certaine originalité à l’époque de la sortie. Il n’est pas décrit comme quelqu’un de déviant, seulement comme un jeune homme marqué par un drame personnel, qui nourrit depuis un fort ressentiment envers le statut des prostituées. De l’aveu de Ronny Yu lui-même, cette dimension humaine, ambivalente et tragique du personnage du tueur, n’a pas été présentée à l’écran au maximum de ce qu’il souhaitait. C’est l’un de ses regrets sur The Saviour. Il est vrai que le protagoniste pèche dans la description un brin grossière de son passé tragique, ne s’encombrant pas d’une grande vraisemblance au motif de son périple meurtrier, mais qui sied tout de même à une dimension cinématographique : son intervention permet des scènes de tension que le cinéma de genre sait sublimer.

S’en suit une série d’évènements qui rythme les 1h22 de métrage d’une belle manière. Une fois l’inspecteur certain de l’identité du tueur, se développe un jeu de dupe entre lui et sa famille, en l’occurrence son père, qui fait taire les témoins. On alterne les références à son histoire personnelle et aux meurtres au présent, entre jeu de piste des policiers et quotidien du tueur. En fin de compte, seul l’axe de notre héros et de son filleul semble lancé sans être parfaitement développé. Du reste, le film va et vient entre l’enquête du policier et la vie du tueur, d’un rythme tendu et qui atteint son paroxysme dans l’arc final. Les différents petits arcs du scénarios et la façon dont ils sont agencés, couplés à des idées nouvelles – le film de tueur en série était inédit à Hong Kong en 1980 – font de The Saviour un film relativement original et rythmé, riche en évènements, animé par des personnages à la psyché intéressante. Par ailleurs, The Saviour est ponctué de plans d’une beauté stupéfiante, comme si Ronny Yu se sentait inspiré par une plastique ultime du cinéma, en dehors de son travail sur le rythme et la tension.

The Saviour se révèle un film policier efficace, fruit d’un contexte artistique en ébullition. Dans le sillon de Cops and Robbers, The Saviour est un jalon dans le polar hongkongais. Il propose des éléments nouveaux, bien qu’il se décalque sur le style du film d’Alex Cheung par instants, et notamment dans son renvoi au cinéma de genre américain.

Bonus

Les bonus vidéo de The Saviour sont au nombre de trois.

Une introduction du film par Arnaud Lanuque, journaliste en place à Hong Kong. En une dizaine de minute, dans un décor de Hong Kong, Arnaud Lanuque nous décrit toujours aussi clairement le contexte du film et les qualités intrinsèques du travail de Ronny Yu.

Un portrait de Ronny Yu par Julien Sévéon, spécialiste des cinémas de genre asiatiques. En pas moins de 40 minutes, Julien Sévéon décrit non sans une certaine passion personnelle (et contagieuse !) le parcours de Ronny Yu. Une fois encore, il fait l’éloge de ces cinéastes qui ne s’inscrivent pas complètement dans la politique des auteurs, mais qui n’ont pourtant pas manqué de marquer le cinéma et les cinéphiles.

Une analyse critique du film par l’équipe du podcast Steroids de Capture Mag. Une équipe de passionnés de cinéma qui dialoguent et débattent en une dizaine de minute. Un avis valable, toujours agréable à écouter.

On y trouve aussi le film dans sa VF d’origine, bonus savoureux pour les nostalgiques de l’ère VHS, et qui enrichit l’aspect historique de la copie de Spectrum.

Maxime Bauer.

The Saviour de Ronny Yu. Hong Kong. 1980. Disponible en combo Blu-Ray/DVD en avril 2020 chez Spectrums Films.

Imprimer


Laissez un commentaire


*