VIDEO – The Story of Woo Viet de Ann Hui (EN COMBO BLU-RAY + DVD LE 15/12/2018)

Posté le 9 mars 2019 par

Sorti en 1981 à Hong Kong, The Story of Woo Viet est la troisième œuvre de la filmographie d’Ann Hui. Le film reparaît au public français fin 2018 grâce à l’édition blu-ray/DVD de Spectrum Films. Il s’agit d’une oeuvre angulaire dans le cinéma hongkongais : il arrive au début d’une nouvelle ère et va permettre la reconnaissance sur grand écran d’une future superstar des cinémas chinois : Chow Yun-fat.

D’Ann Hui, le public français aura sans doute retenu Une vie simple, avec Andy Lau, sorti en 2011. Cette histoire touchante, inspirée de la vie du producteur Roger Lee, racontait comment un jeune homme d’une famille aisée de Hong Kong s’occupait de la retraite de leur fidèle servante, en lui recherchant un EHPAD et allant lui rendre visite tel un véritable fils. Un monument de tendresse et de justesse. Et pourtant, c’est dans le thriller qu’Ann Hui s’est fait un nom au tout début des années 1980, à l’orée de la nouvelle vague hongkongaise.

The Story of Woo Viet est le second volet de la trilogie du Vietnam d’Ann Hui (suivant le moyen-métrage issu d’une série TV, The Boy from Vietnam, et précédant Boat People). Il s’agit de l’un des premiers grands rôles de Chow Yun-fat, l’acteur fétiche de John Woo. Il conte l’histoire d’un vietnamien (Chow Yun-fat) qui fuit son pays et rejoint Hong Kong sur un bateau. Il y retrouve une correspondante (Cora Miao) qui va l’aider dans sa démarche. Dans le centre d’accueil, il s’éprend d’une compatriote (Cherie Chung) et poursuit son voyage avec elle. En transit aux Philippines, ils se rendent compte qu’ils sont tombés dans le piège des passeurs, toutes les femmes étant destinées à devenir prostituées. Afin de racheter la liberté de sa bien-aimée, notre héros doit accepter de travailler pour les triades locales comme tueur à gages, aux côtés d’un assassin aguerri (Lo Lieh).

À certains égards, The Story of Woo Viet peut donc être perçu comme un thriller d’action, registre fétiche des cinéastes contemporains de la réalisatrice tels que les célèbres Tsui Hark et John Woo. Le générique crédite d’emblée le chorégraphe Ching Siu-tung comme régleur des combats du film. Et effectivement, Chow Yun-fat se montre déjà charismatique dans sa virilité, sortant ses poings et ses armes. Pourtant, le film est sans doute plus un drame social qu’un véritable film d’action.

Car c’est bien là la force du film : sa portée dramatique, et même tragique. The Story of Woo Viet est un film noir, où les personnages sont constamment rattrapés par la fatalité. Ils nourrissent certains espoirs (les États-Unis en toile de fond) mais ne cessent de régresser humainement, que ce soit par le sort réservé aux femmes, ou par le fait que Chow Yun-fat doive se salir les mains pour pouvoir voir le bout du tunnel. À ce titre, l’écriture du personnage de Lo Lieh est excellente, reflétant comment les exilés peuvent s’égarer loin de chez eux, et formidablement interprété pour un acteur d’ordinaire habitué aux méchants truculents de la Shaw Brothers.

Ce qui assure la réussite de ce film, c’est le talent d’Ann Hui dans la réalisation. Que ce soit dans les séquences de rixe ou les scènes de dialogue, le dosage est assez fin pour laisser les acteurs exercer leur jeu avec une grande force dans les regards, les mots et les non-dits. Bien qu’il y ait un chorégraphe des combats, les scènes d’action sont sèches et sans exagération. Cet aspect de la mise en scène n’est pas négligeable : à cette époque, les films de kung-fu de Shaw Brothers et Golden Harvest font les beaux jours du box-office hongkongais, et rivalisent de démesure. Le polar nouveau et outrancier est également en train de naître. Le choix de passer l’émotion et l’intention à travers le drame plutôt que par la portée graphique du cinéma d’action est démarquant en comparaison du reste de la production. Aussi, ces séquences d’action s’intègrent bien dans une intrigue propice au suspense et dont le sort des protagonistes importe aux spectateurs.

En observant le destin des Vietnamiens qui fuyaient leur pays, Ann Hui leur a offert avec sa trilogie du Vietnam, si ce n’est une voix, au moins une représentation dans un médium à l’audience large, et questionne par la même occasion le rôle des nations accueillantes (un sujet malheureusement toujours d’actualité). En filigrane, la réalisatrice évoque quelque chose de plus spécifique : la place des Chinois dans les sociétés mondiales. Le personnage de Chow Yun-fat est vietnamien, mais d’origine chinoise, ce qui vaudra un échange très intéressant avec le parrain du Chinatown de Manille. Les Chinois ont bâti des Chinatowns dans le monde entier, ce qui en théorie devrait leur assurer un peu de chaleur humaine où qu’ils aillent. Pourtant, le personnage de Chow Yun-fat est un étranger à Hong Kong, une nation peuplée de Chinois. Et pire : le Chinatown de Manille n’a rien d’un paradis, c’est au contraire un piège qui s’est refermé sur lui et dont il ne peut s’échapper.

Ainsi, The Story of Woo Viet est un film noir millimétré, étouffant, interprété par des acteurs talentueux. Une sorte de Voyage au bout de l’enfer, de par cette traversée dans la moiteur de l’Asie du Sud-Est et dans le côté obscur des hommes, qui apporte un point de vue éclairant de la part d’une artiste chinoise des années 1980. Finalement, de The Story of Woo Viet à Une vie simple, du polar noir au tranche-de-vie, la portée dramatique demeure identique chez Ann Hui.

L’édition combo blu-ray/DVD de Spectrum Films est comme d’habitude d’excellente qualité. Les masters sont HD, ce qui en fait une des meilleures copies possibles. Les bonus sont nombreux : tout d’abord, ni plus ni moins que le film Boat People, lui aussi en HD. Ce film est autant recommandable que The Story Of Woo Viet. Suivent une interview d’Ann Hui en 2017 et du producteur Teddy Robin Kwan, une présentation d’Arnaud Lanuque –  ces trois interventions apportent des informations intéressantes sur le contexte historique du film et sur le tournage – et pour finir, une analyse de la chaîne YT The Film Talker, qui offre un avis tout à fait pertinent sur les deux films présents sur le blu-ray. Le contenu est de mise, et offre des points de vues de trois angles : les faiseurs du film, un spécialiste du cinéma et un critique du web. Il est agréable d’avoir tout cela à notre portée.

Maxime Bauer.

The Story Of Woo Viet d’Ann Hui. Hong Kong. 1981. Disponible en COMBO (Blu-Ray + DVD) chez Spectrum Films depuis le 15/12/2019.

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