NETFLIX – The Night Is Short, Walk On Girl de Yuasa Masaaki

Posté le 24 avril 2020 par

On vous parle souvent des films du studio Ghibli qui ont été mis en ligne sur Netflix. Mais ce serait oublier qu’une autre pépite de l’animation nippone s’y trouve, cette fois-ci réalisée par le fou furieux Yuasa Masaaki : The Night Is Short, Walk on Girl !

On ne le répétera sans doute jamais assez, mais l’animation japonaise est un gigantesque vivier de créateurs, réalisateurs et artistes, aux styles et ambitions divers. Et si certains comme Miyazaki HayaoTezuka Osamu et Otomo Katsuhiro font partie des réalisateurs qui ont imposé leur style et leurs thèmes, ils sont présents depuis plus de trente ans sur la scène internationale. Cela n’empêche pas l’émergence de metteurs en scène tout aussi talentueux. Sur la scène de l’animation contemporaine, on citera Hosoda MamoruShinkai Makoto, et celui qui nous intéresse aujourd’hui : Yuasa Masaaki et son film The Night Is Short, Walk on Girl.

Petite précision avant d’entrer dans le vif du sujet, Yuasa Masaaki est certes un réalisateur, mais il est plus ou moins l’adaptateur officiel de l’oeuvre écrite de Morimi Tomihiko, auteur également du délirant The Tatami Galaxy, porté à l’écran par le réalisateur-cité. Et on ne peut pas parler de The Night Is Short, Walk on Girl sans évoquer The Tatami Galaxy, puisque les deux œuvres semblent cohabiter dans le même univers, comme il sera expliqué plus loin.

Dans The Night Is Short, Walk on Girl, on suit les mésaventures de Senpai, jeune homme amoureux de « la fille aux cheveux noirs », et bien décidé à lui déclarer sa flamme. Mais rien ne va se passer comme prévu, son parcours va être jonché d’obstacles, sans compter que la fille en question est bien décidée à profiter de la vie, le temps d’une nuit de folie à Kyoto, riche en rencontres et en dérives alcoolisées.

Le pitch annonce déjà la couleur, et le scénario va prendre un malin plaisir à exploiter à fond le potentiel surréaliste du scénario. Croisement improbable de After Hours de Martin Scorsese et de Gregoire Moulin contre l’Humanité d’Artus de Penguern dans un Kyoto surréaliste, le film est un enchaînement de situations toutes plus dingues les unes que les autres. On y trouve  une société sophiste, une compétition  de fondue, le dieu des brocantes de livres, un théâtre ambulant et un duo singe et cacatoès. C’est une liste non exhaustive, on ne va pas gâcher la surprise. La nuit va être longue, étourdissante, parfois fatigante, mais toujours drôle et euphorique, comme peut l’être une dernière soirée d’été avec 2,8 grammes dans le sang.

Yuasa ne pouvait être meilleur metteur en scène pour réaliser ce parcours du combattant de la loose. Ceux qui ont déjà vu The Tatami Galaxy retrouveront ce style si particulier, l’exagération des traits et des couleurs, les corps humains malmenés à la Bill Plympton, et cette ambiance à la fois drôle, pathétique et touchante lorsqu’il s’agit de faire parler les cœurs.

Car oui, le film est aussi une belle histoire d’amour(s). Tous les personnages courent d’ailleurs après l’amour. Senpai est amoureux de la fille, un des personnages s’est juré de retrouver la femme qui l’a marqué au fer rouge (ou plutôt à la pomme, comprenne qui verra), et un autre se travestit pour s’épanouir socialement. Sous des apparences de comédie survoltée, The Night Is Short, Walk on Girl dévoile un fond plus réfléchi, qui use de la blague pour aborder des thèmes plus matures. On retrouve d’ailleurs le sujet de la solitude par exemple, grand mal des sociétés actuelles, ou bien encore la tendance plus ou moins consciente de n’exister qu’à travers et pour les autres (la fille en est un bon exemple). Pire encore, Senpai, le héros, use de moyens aux limites du malsain pour « mieux connaître » la fille.

Mais une fois que l’on a pris connaissance de tous ces maux et que l’on les accepte (ils sont déclinables pour toutes les sociétés, même hors Japon), on suit avec un plaisir euphorique les aventures de Senpai, finalement prêt aux pires humiliations pour retrouver la fille dont il est tombé amoureux. Alors, parfois, certaines scènes ne servent qu’à faire monter la sauce et accessoirement le niveau d’alcoolémie de la fille (la séquence dans le club des professionnels du sophisme dure beaucoup trop longtemps), mais on se laisse happer par un tourbillon de folie où l’on retrouve des personnages de The Tatami Galaxy comme le sage mangeur de lune ou le sournois Ozu dans des rôles complètement différents. On en viendrait presque à se demander si l’on n’est pas parfois en train de regarder un rip-off fantasmagorique de sa grande sœur.

Il vaut mieux être prévenu, The Night Is Short, Walk on Girl peut désarçonner par son rythme qu’on qualifiera de survolté, parfois trop décousu et foutraque pour son bien, et sa tendance à balancer vingt idées à la minute. Même son style graphique pourra rebuter les spectateurs habitués à celui, plus classique, de Ghibli et consort. Mais au final, on embarque pour une virée nocturne bourrée d’humour et de créativité, un parfait antidépresseur aux effluves de whisky et de sukiyaki.

Romain Leclercq.

The Night Is Short, Walk on Girl de Yuasa Masaaki. Japon. 2017. Disponible sur Netflix le 01/02/2020