OCS – Le Garçon et la Bête de Hosoda Mamoru

Posté le 13 avril 2020 par

Hosoda Mamoru, que l’on présente comme « l’héritier de Miyazaki » confirme, avec Le Garçon et la Bête, sorti en 2016, qu’il est devenu l’un des réalisateurs majeurs du cinéma d’animation. Et surtout un réalisateur à part. Si vous avez raté cette pépite en salles, il est temps d’ouvrir OCS !

Suite à l’arrêt momentané des productions de longs-métrages chez Ghibli, tout le monde cherche à savoir si des réalisateurs talentueux seront capables de prendre la relève en atteignant un degré de popularité aussi important à l’international. Depuis La Traversée du Temps en 2006, Hosoda Mamoru se présente clairement comme l’un des cinéastes qui est le plus à même de pouvoir rivaliser avec le célèbre studio japonais.

Le Garçon et la bête

Bien que son travail soit souvent comparé à celui de MiyazakiHosoda ne s’est jamais vraiment inscrit dans la même démarche artistique et thématique. Plus ancré dans le monde moderne, plus centré sur des enjeux contemporains, son cinéma tire sa force d’un procédé simple : imaginer un univers extraordinaire et incroyable pour mieux questionner notre ordinaire et notre propre existence. Dans La Traversée du Temps, le voyage temporel permet l’évocation d’une forme d’insouciance adolescente, où chaque moment partagé entre amis se voudrait infini, malgré la prise de conscience de certaines responsabilités. Dans Summer Wars, le monde virtuel gigantesque d’Oz est un terrain de jeu formidable pour mettre en avant la puissance des liens familiaux, la naissance du sentiment amoureux ou encore le mariage entre nouvelles technologies et valeurs ancestrales. Dans Les Enfants loups, Ame et Yuki, sans doute le film le plus bouleversant et le plus personnel de son auteur, la présence de loups-garous parmi les hommes amène à s’interroger sur l’éducation, la transmission, l’acceptation des différences et la solitude des mères célibataires au Japon. Chez Hosoda, le fantastique s’immisce naturellement dans la réalité du quotidien, l’intime se mêle au spectaculaire, les instants euphoriques côtoient les moments plus mélancoliques. Une œuvre humaniste, touchante et profonde que vient brillamment compléter Le Garçon et la Bête, dans lequel on retrouve toutes les thématiques chères au cinéaste.

Le Garçon et la bête

Cette fois, l’argument fantastique provient de la cohabitation entre deux mondes : celui des hommes, tel que nous le connaissons, et celui des bêtes. Ren, un jeune garçon de 9 ans, vit dans le quartier de Shibuya à Tokyo. Il vient de perdre sa mère, et son père a disparu suite au divorce des deux parents quelques années plus tôt. Se sentant abandonné, Ren s’enfuit dans les rues de la ville, livré à lui-même. Il fait alors la rencontre de Kumatetsu, un ours anthropomorphe venu tout droit du Jutengai, le royaume des bêtes. Son seigneur, un lapin facétieux et farceur, va bientôt se réincarner en divinité et doit choisir son successeur. Parmi les prétendants, il y a Kumatetsu, mais il y a aussi Iozen, sage père de famille et combattant émérite flanqué d’une armée de disciples. Cette rivalité rappelle la confrontation classique entre le samouraï traditionnel et le samouraï bourru et mal-élevé proche des personnages interprétés par Toshiro Mifune chez Akira Kurosawa. Malgré tout, Kumatetsu doit prouver qu’il peut faire preuve de maturité et voit en Ren l’occasion parfaite de prendre lui aussi quelqu’un sous son aile, même s’il faut braver la loi qui interdit le contact entre humains et bêtes. Ren se retrouve ainsi projeté dans le Jutengai et devient Kyuta, le disciple officiel de Kumatetsu. Au fil des années, une entente forte et durable va s’établir entre nos deux protagonistes, non sans mal car ce sont deux caractères forts qui s’affrontent dans un esprit perpétuel de compétition. Hosoda s’amuse alors avec les codes du genre puisque la relation maître-élève diffère du récit initiatique habituel. Kumatetsu s’avère être un très mauvais pédagogue, ne sachant pas enseigner ses techniques autrement que par des borborygmes incompréhensibles, tandis que Ren lui en fait voir de toutes les couleurs à la première occasion. Mais ces deux êtres solitaires, qui semblaient ne compter que sur eux-mêmes, vont finalement apprendre à s’apprivoiser et s’améliorer ensemble.

Le Garçon et la bête

Ils deviennent ainsi de véritables grands guerriers, parmi les plus puissants du Jutengai. Kumatetsu est enfin respecté parmi ses congénères, et possède sa propre école d’arts-martiaux. Ren, maintenant adolescent, est adopté par toutes les bêtes du royaume. L’heure du combat entre Kumatetsu et Iozen approche, pourtant Ren commence à éprouver l’envie de redécouvrir son propre monde, suite à un retour accidentel dans son quartier de Shibuya. Le jeune garçon doit alors faire ses propres choix. Doit-il rester avec celui qu’il considère comme son père dans un royaume qui n’est pas le sien mais qui parait plus « humain » que cette ville grisâtre dont il s’est échappé quelques années plus tôt ? Ou bien reprendre une vie « normale », retourner à ses études, apprendre à lire avec Kaede, une fille rencontrée à la bibliothèque ? C’est toute la complexité de ce personnage rongé par le doute, dont la rage, toujours présente mais enfouie quelque part, est prête à éclater à n’importe quel moment. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Ren lit Moby Dick de Melville. On retrouve tout le long du film cette idée de l’homme qui doit combattre ses propres démons, à la fois littéralement et métaphoriquement. Cette noirceur contenue dans le cœur de Ren, cette haine née du sentiment d’abandon, même si momentanément apaisée par la présence paternelle de Kumatetsu, la profonde amitié de Kaede ou le souvenir encore vif de sa mère (matérialisé sous forme de visions et par l’apparition d’une petite boule de poil blanche nommée Chiko, la caution kawaï du film), ne peut être étouffée qu’au cours d’un affrontement cathartique inévitable.

Le Garçon et la bête

Hosoda parvient ainsi à maintenir un équilibre narratif remarquable entre la signification symbolique du conflit intérieur qui touche le personnage et sa représentation à l’écran. L’imagination sans bornes du réalisateur et le caractère épique de son cinéma servent avant tout de terreau pour le développement d’enjeux thématiques passionnants, proches de ceux déjà explorés dans ses précédents films. Avec son style si caractéristique dans sa manière de faire mouvoir les corps au sein de décors reconstitués et crées avec minutie, Hosoda réussit à nous faire ressentir intimement l’état mental de ses protagonistes. On pourra donc regretter le trop grand nombre de dialogues un peu poussifs qui ne font qu’indiquer ce qu’on avait déjà compris par nous-mêmes, notamment lorsque les deux acolytes de Kumatetsu, Tatara et Hyakushubo, ne cessent de commenter tout ce qui se passe tels des observateurs aguerris. Ce genre de procédé a tendance à diminuer l’impact émotionnel de certaines scènes. Quoiqu’il en soit, Le Garçon et la Bête reste une œuvre sensible et touchante à bien des égards, s’inscrivant pleinement dans la filmographie incroyablement cohérente d’un cinéaste unique, qui ne ressemble à aucun autre.

Nicolas Lemerle.

Le Garçon et la bête de Hosoda Mamoru. Japon. 2015. Disponible sur OCS