VIDEO – Wild Search de Ringo Lam

Posté le 14 août 2021 par

Parmi la pléthore de joyaux inédits que Spectrum Films a sorti de son chapeau ces derniers mois, siège le méconnu Wild Search de Ringo Lam édité en juin dernier en combo DVD/Blu-Ray. 

Pris en étau dans la filmographie de son auteur entre sa trilogie « On Fire » et son grand bon dans les productions pop début 90s (Double DragonFull Contact), cet heroic bloodshed mâtiné de rom-com témoigne une fois de plus de l’impressionnante faculté des génies hongkongais à subvertir les commandes avec une sensibilité en contrebande. De larmes et de sang, voici une plongée avec Chow Yun-fat et Cherie Chung dans les multiples facettes de la Perle d’Orient.

Tout commence par un plan nocturne sur des décorations de Noël en pleine jungle urbaine. S’ensuit le défilé furtif des logos McDonald’s, Chanel, Landmark… En éparpillant ces signes dans le style commun du polar HK de l’époque, Ringo Lam donne à voir discrètement le portrait d’un Hong Kong marqué par l’impérialisme économique étranger. Ces premiers détails servent de décor à l’enquête. L’inspecteur Lau, porté sur la bibine (Chow Yun-fat), a RDV avec son indic’ pour prendre en flagrant délit des trafiquants d’armes en pleine transaction. Au bout de 6 minutes, ça canarde sec, façon heroic bloodshed pur jus. C’est par la suite que la mise en scène va glisser des canons du genre jusqu’aux codes de la romance et du mélodrame, notamment grâce à l’adorable personnage de Ka Ka. Petite fille de presque 4 ans, sa mère combinarde a été assassinée par un des trafiquants d’armes lors de l’intervention. L’inspecteur Lau, surnommé « Miou-Miou », et Cher, la tante de Ka Ka, la prennent alors sous leur aile. C’est par son biais attendrissant et à travers la relation adultérine entre « Miou-Miou » et Cher que le film campe un second pied dans la romance.

Œuvre de commande, Ringo Lam cultive sa mise en scène sur les clichés du genre. Le style musical global reste assez commun à celui de l’époque : entre action brute et mélo sirupeux (avec la chanson-titre bien pop signée Anita Mui). Autres stéréotypes : des fichues colombes qui viennent batifoler en plein gunfights. Mais par-delà les canons du polar, Ringo Lam se singularise ici par rapport à ses illustres pairs de l’époque John Woo et Tsui Hark grâce à une douceur souterraine. Considéré comme l’intello de sa génération, il est certainement l’un des plus sensibles. Dès le début, la brutalité s’adoucit grâce à la musique de Lowell Lo (compositeur aussi des B.O. de Prison on Fire, Syndicats du Crime 2 et 3 et The Killer). Elle joue un rôle cardinal dans les variations de ton et la fluctuation des genres. La séquence centrale (et étrange) de la fusillade dans le bar en est l’exemple : d’une musique pop-rock, Lo va allonger les notes, alanguir les portées et baisser les tonalités pour basculer de l’insouciance d’un verre entre deux collaborateurs vers la tension d’un règlement de compte public. Sur un même motif, par un subtil jeu de mutation harmonique, la musique prend en charge l’élasticité des émotions et nous fait basculer d’un registre l’autre.

La force interlope de Ringo Lam, c’est aussi qu’il glisse en sous-main presque une poétique de son pays et de l’époque. Que le combat final, qui voit s’affronter le trafiquant des villes au flic dans la grange rurale, soit cerné par les quatre éléments (le feu, l’eau, la terre et le vent) alors que tout le film donne à voir l’ascendance de la violence des villes sur l’innocence de la campagne, cela dit combien l’auteur appelle sans outrance à un retour révolutionnaire de la nature, dix ans après l’ouverture économique de HK au marché étranger.

La production réunit un casting trois étoiles : Chow Yun-fat, dont on retrouve la mèche et la hargne belliqueuse, incarnant un Philip Marlowe d’Asie du Sud-Est, Cherie Chung avec laquelle le premier avait déjà joué dans la romance An Autumn’s Tale (un des plus grands succès HK de 87) et Roy Cheung (Bullet, truand obsédé de vengeance, acteur fidèle des premiers Lam et mémorable dans The Mission ou Infernal Affairs II). On voit notamment Chow le visage en sang, filmé au ralenti en train de se battre comme un tigre, passage obligé de sa filmographie (à croire que c’est dans ses contrats d’acteur). À la différence de la plupart de ses rôles phares des années 80 qu’il joue ici avec plus de psychologie, de fêlure et moins de nervosité continue.

Le montage souffre toutefois de véritables chutes de rythme que d’aucuns pourront apprécier comme des ruptures de tempo, c’est selon. Mais plusieurs gimmicks ponctuent le récit, comme les démarrages en trombe de « Miou-Miou », les saillies touchantes de Ka Ka ou les moues vaniteuses de Bullet. Ce genre de détail traduit, bien sûr, la qualité d’écriture (les running gestes accélérant la caractérisation des personnages) mais ça gonfle surtout d’humanité les personnages. Fort de ce raffinement discret, le récit déplie plusieurs rapports hautement conflictuels, aux ressorts dramatiques variés : entre le flic et la sœur en deuil, le grand-père et sa petite fille, le flic et le truand, la sœur et son mari démissionnaire… Tous les arcs de scénario étant finalement bouclés à l’issue.

Entre les lignes, se dessine aussi un prélevé du Hong-Kong des villes et du Hong-Kong des champs. Plusieurs des commentateurs dans les boni saluent, à juste titre, la faculté de la mise en scène à nous faire ressentir l’effervescence réaliste des lieux de tournage. On ressent les rapports brutaux de rigueur à la campagne (entre le grand-père et sa petite fille, le mari et l’épouse délaissée) et on décèle surtout, dans le jeu d’alternances entre cité et ruralité, les modes de société respectifs : à la communauté solidaire de la campagne s’oppose l’appât du gain et l’individualisme de la ville (un peu plus et on serait chez Murnau). Autres vertus historiques, ce sont ce que les costumes, la décoration et le mobilier témoignent de la mode de la fin des années 80. Libre à chacun d’apprécier la qualité des coupes de pantalon et les motifs des vestes.

La superbe édition (une de plus) de Spectrum Films offre une restauration sans faille, respectueuse des couleurs de l’époque et nettoyée des défauts argentiques. Le combo DVD/BR s’accompagne de boni généreux : la bande-annonce du film, une présentation copieuse de 18min par Arnaud Lanuque (auteur en 2017 de Police vs syndicats du crime ; les polars et films de triades dans le cinéma de Hong Kong), une interview pleine d’anecdotes et de confidences de Roy Cheung !, un podcast exclusif par Capture Mag avec Stéphane Moïssakis et Rafik Djoumi et une excellente vidéo issue de YouTube du vidéaste Infant Terrible « Why I love this movie« . 

Tous ces commentaires passionnés et érudits, cultivant des tons et des approches variées et complémentaires, permettent d’en savoir plus sur le contexte de production locale, sur la généalogie esthétique de Ringo Lam et sur l’écriture du film en comparaison avec le cinéma occidental en général et hollywoodien en particulier.

On y apprend, entre autre, grâce au podcast et à Arnaud Lanuque, que le film est un remake non avoué de Witness de Peter Weir avec Harrison Ford. Ce qui donne l’occasion à chacun d’eux de revenir sur les dialogues plus ou moins officiels entre le cinéma hollywoodien et le cinéma hongkongais depuis les années 80, attestant que les appropriations n’étaient pas qu’univoques et que les auteurs hongkongais se sont aussi beaucoup inspirés du cinéma nord-américain, français ou japonais.

Cette nouvelle galette pressée et mise sous pli par la maison-mère des éditions HK aujourd’hui offre l’occasion de se confronter à l’un des Lam les moins connus, longtemps inédit même sur le marché US, le tout dans une édition au petits oignons (ce qu’il faut de boni, ce qu’il faut de restauration, sans excès ni zèle geek).

Flavien Poncet

Wild Search de Ringo Lam. Hong-Kong. 1989. Disponible en édition DVD/Blu-Ray chez Spectrum Films en juillet 2021

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