On continue notre tour du catalogue de la Korean Film Archive, en vous proposant les critiques des meilleurs films de la cinémathèque coréenne. Restauré en 2017, A Day Off de Lee Man-hee est un sommet du drame social coréen des années 60, décennie du marasme économique.
Un homme retrouve sa fiancée tous les dimanches. Les dimanches, on s’ennuie, surtout quand on n’a pas d’argent. La jeune femme est enceinte et tous deux craignent de ne pouvoir subvenir aux besoins d’un foyer. Ils décident de se rendre à l’hôpital pour un avortement, mais avant cela, le jeune homme doit taper aux portes de tous ses amis, afin d’obtenir de quoi payer l’opération.
Un peu après Early Rain en 1966 et bien avant The Oldest Son en 1985, on retrouve l’acteur Shin Seong-il, qui a traversé le cinéma classique de son pays dans des films faisant le portrait d’une Corée à terre, plombée par la misère mais se relevant peu à peu pour devenir une nation à la pointe du progrès. En 1968, date de sortie de A Day Off, nous sommes plongés dans un quotidien encore plus fataliste et déprimant qu’Early Rain, qui, lui, nourrissait quelques espoirs à travers le luxe et les apparences. Ici, les personnages sont vêtus de noir, déambulent dans un environnement grisâtre et insistent bien sur un point qui obsède leur existence : l’ennui. Quand on s’ennuie, on a tendance à ruminer ses problèmes. C’est le cas du personnage de Shin Seong-il, probablement au chômage, comme sa compagne.
Les protagonistes sont aux frontières de la dépression tant ils broient du noir. Et le scénario n’est pas tendre avec eux tant il les malmène : on serait tenté de penser qu’il y a du misérabilisme dans cette œuvre. Pourtant, les acteurs – et le réalisateur à travers sa direction d’acteurs, peignent des émotions refoulées mais vives, qui forcent le spectateur à la compassion la plus totale. Il y a quelque chose de vrai, quelque chose de l’ordre du témoignage dans A Day Off. On n’assiste pas à une histoire avec un début, un milieu et une fin, mais à un morceau de la réalité coréenne de 1968, car le choix narratif d’introduction – voir Shin Seong-il errer dans les rues en attendant de rejoindre sa fiancée, permet de se placer au niveau de l’homme de la rue. Et dans la rue, le scénario y reste tout le long du film. Cette simplicité dans le choix du cadre est la preuve que Lee Man-hee ne souhaitait pas peindre un portrait misérabiliste de sa société. D’autant lorsque l’on sait que les Coréens sont un peu peuple plutôt expressif et que cela se voit dans leurs fictions, alors qu’ici, tous les personnages sont dans la retenue. Une retenue qui laisse paraître dans leur regard et dans leurs traits défaits le poids de la pauvreté.
À l’instar du néoréalisme italien des années 1940, A Day Off se tourne vers une population ruinée par la conjoncture économique et les guerres passées, se pose dans un cadre simple et s’attarde sur le ressenti de ses personnages en plein désarroi. Et comme le fameux courant italien, il use d’une réalisation sans esbroufe, qui ne vient pas réellement d’une intention artistique mais directement du quotidien, comme un cri de la rue.
Tout cela dénote d’une qualité et d’une valeur artistique et intellectuelle certaines. Il y a de quoi s’interroger : pourquoi ce cinéma classique coréen est-il si méconnu ? Quelques films sont passés dans les festivals en leur temps mais n’ont jamais retenu l’attention. Même grâce à la démarche de la Korean Film Archive, il faut encore pouvoir passer la barrière de l’anglais pour accéder pleinement à ce pan cinématographique des plus intéressants, qui n’a pas grand chose à envier, finalement, à la plus grande nation de cinéma de cette époque, à savoir le Japon. Il n’y a qu’une chose à faire : profiter au maximum de la disponibilité de ces films sur internet, et voir absolument A Day Off, qui pourrait très bien être qualifié d’étendard.
Maxime Bauer.
A Day Off de Lee Man-hui. Corée du Sud. 1968. Disponible sur la plateforme Naver ici.