RETRO – The Oldest Son (Jangnam) de Lee Doo-yong : au nom de la famille

Posté le 28 septembre 2019 par

Cette information n’est pas des plus connues, et pourtant elle est merveilleuse. Depuis 2012, la cinémathèque coréenne, Korean Film Archive, met en ligne sur son site et sur sa chaîne Youtube « 한국고전영화 Korean Classic Film » de nombreux films vintage du cinéma coréen. Systématiquement agrémentés de sous-titres anglais, parfois restaurés, totalement gratuits et légaux, il sont environ au nombre de 300 à être disponibles et de nouveaux sont encore ajoutés régulièrement. Nous allons essayer de vous parler des meilleurs d’entre eux, et on commence cette fois-ci avec The Oldest Son de Lee Doo-yong, sorti en Corée du Sud en 1985 et restauré en 2016 !

Le fils aîné d’une famille est cadre supérieur dans une entreprise d’informatique. De sa fratrie, il est celui qui a le mieux réussi et ses parents en sont fiers. Ces derniers sont obligés de déménager suite à l’inondation de leur maison en province. Ils rejoignent leurs enfants à Séoul et cohabitent quelques temps avec eux, le temps d’emménager dans un nouvel appartement. Cependant, le fossé qui sépare les carrières et les tempéraments des frères, ainsi que les attentes des parents de la vieille génération, génèrent bien des tumultes dans cette famille moderne de la Corée en plein boom économique.

Ce métrage est une peinture représentative de la Corée des Quatre dragons asiatiques, notion qu’on apprend en histoire et en économie, et qui désigne la Corée du Sud, Hong Kong, Taïwan et Singapour pendant la seconde moitié du XXe siècle, à l’heure du développement économique spectaculaire des pays asiatiques. Alors que le cinéma coréen des années 1960 montre régulièrement des contextes plombants, entre chômage de masse et volonté inassouvie d’ascension sociale, The Oldest Son en est une évolution parlante. Étant donné que nous connaissons principalement le cinéma coréen par le prisme de la nouvelle vague coréenne (années 2000, à une époque où la Corée est un pays développé), The Oldest Son peut faire office de marqueur historique pour nous, spectateurs occidentaux découvrant un cinéma coréen méconnu. Ceci est d’autant plus saisissant que le fils aîné du film est campé par Shin Seong-il, un acteur qu’on côtoie déjà dans les années 60, dans ces fameux films exprimant le marasme sociétal de la Corée.

Mais avant toute chose, The Oldest Son est un film sur la famille. Il existe plusieurs façon d’aborder la famille dans la fiction. L’une d’entre elles est de montrer le lien affectif précieux et réconfortant qu’elle représente – c’est cet angle qu’a choisi Ozu Yasujiro, par exemple, tout au long de sa carrière. Dans le film de Lee Doo-yong, le lien est certes précieux, mais il se révèle également empoisonnant : les attentes des parents vis-à-vis de leurs enfants, la condescendance vis-à-vis d’un frère qui ne respecte pas assez le principe de piété filiale, etc. Il y a d’un côté l’amour, véritable à n’en pas douter, et de l’autre la nécessité de garder la face en société. Le fils aîné a tout réussi, mais il n’est pas satisfait d’être le seul de la famille à y être parvenu. Et tout dévoué qu’il est, ses sentiments de rancœur entament son statut de patriarche modèle. Le film progresse de scène en scène avec ce goût amer que quelque chose cloche dans ce système relationnel. La séquence finale canalise alors le trop plein d’émotion accumulé jusqu’au débordement total du pathos.

Cette scène finale est assez sidérante et bien qu’extrême dans son genre, elle paraît à la juste mesure de ce que le film construit tout le long de son récit. La Corée bouge mais reste empêtrée dans de vieilles valeurs qui créent un système à deux vitesses. Le frère qui bat son épouse témoigne d’ailleurs déjà de cette violence viscérale dans la fiction coréenne moderne, dans le cinéma de genre bien sûr, mais qu’on peut aussi retrouver ailleurs, comme les manhwas d’inspiration biographique de la dessinatrice Ancco.

The Oldest Son n’est pas un simple drame comme le cinéma peut en produire tant. Il évoque les attentes de la cellule familiale vis-à-vis de la société, et quand la société bouge à toute vitesse, les dégâts se font sentir.

Maxime Bauer.

The Oldest Son de Lee Doo-yong. Corée du Sud. 1985. Disponible légalement sur Youtube ici.

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