Kinotayo 2019 – Entretien avec Sakakibara Yusuke pour Shiori

Posté le 16 février 2019 par

Sakakibara Yusuke était présent à la 13ème édition du Festival Kinotayo pour présenter son premier long-métrage de fiction, Shiori, un drame médical qui puise dans sa propre expérience de kinésithérapeute. Il a remporté le prix de la meilleure image.

Masaya est un jeune physiothérapeute très impliqué dans son métier. Lorsque son père est admis à l’hôpital et que l’état de certains patients commence à se dégrader, il se sent envahi par un sentiment de découragement. Il commence alors la rééducation de Fujimura, un rugbyman qu’un accident a rendu paraplégique. En observant la volonté que celui-ci met en œuvre pour se remettre de cette épreuve, il reprend progressivement foi en son travail.

Sakakibara Yusuke nous a parlé de ce drame qui explore les meurtrissures du travail hospitalier avec un habile mélange de tendresse et de dureté.

Shiori est votre premier long-métrage de fiction. Est-ce que vous pouvez nous parler de votre parcours et de comment vous êtes arrivé à la réalisation ?

En fait je n’ai pas vraiment débuté dans le milieu du cinéma. J’ai d’abord travaillé dans le milieu de l’image, j’ai réalisé des spots publicitaires et des clips musicaux. Puis j’ai rencontré un producteur de cinéma qui m’a dit que c’était dommage de ne faire que des commandes et que je devais peut-être davantage m’exprimer. C’est pour ça que j’ai commencé à réaliser, d’abord des courts-métrages, et c’est comme ça que j’ai débuté dans le milieu du cinéma. J’ai réalisé des documentaires et six courts-métrages avant de passer au long-métrage avec Shiori.

Vous avez été physiothérapeute, comme votre personnage principal. Dans quelle mesure est-ce que c’est votre expérience personnelle que l’on retrouve dans le film ?

Quasiment l’ensemble de ce qu’on voit dans le film, dont les personnages et les cas médicaux qu’on entrevoit, a été soit vécu, soit entendu, soit vu par moi-même. On peut dire que c’est presque ce que j’ai vécu, mais pour en faire une seule histoire j’ai dû faire des modifications.

On sent le personnage de Masaya tiraillé par son sentiment d’impuissance. Est-ce quelque chose à quoi vous avez-vous-même été confronté et est-ce que cela a joué dans votre désir de faire ce film ?

En tant que kinésithérapeute, dans 90% des cas on nous remercie, puisqu’on rend des choses qui paraissaient impossibles possibles. Mais dans les 10% de cas restants, ce sont des cas que la médecine actuelle ne peut pas résoudre. Du coup, on se sent effectivement impuissant face à cela, et d’ailleurs c’est ce que l’on retient. Moi-même, bien sûr, mais aussi mes confrères, on retient ces cas qu’on n’a pas pu résoudre.

Vos acteurs donnent une très belle performance. On pense à Miura Takahiro dans le rôle principal, mais aussi à Abe Shinnosuke qui joue un rugbyman devenu paraplégique. Comment les avez-vous réunis ?

Concernant Miura Takahiro, c’est un jeune acteur assez connu puisque ses parents sont très célèbres au Japon. En fait, ma mère est fan de ses parents, et du coup elle m’habillait comme les parents de Takahiro l’habillaient. Par exemple, à l’occasion du Shichi-go-san, une fête qu’on célèbre quand on a trois, cinq et sept ans, on porte un kimono ou un costume, et ma mère m’habillait comme Takahiro puisqu’on a juste un an d’écart. Etant donné que le personnage principal de mon film avait un côté autobiographique, j’ai tout de suite pensé à cet acteur vu que je le connaissais depuis mon enfance. J’ai eu cette idée assez instinctivement. Il y a toutefois une autre raison à ce choix puisque j’ai appris que, lorsqu’il était étudiant, il voulait devenir aide-soignant – mais dans le domaine psychiatrique. Je crois qu’il a aussi été interne dans un hôpital, et j’ai compris qu’il avait eu une expérience similaire à la mienne. Concernant Abe Shinnosuke, il s’est occupé de l’écriture et du développement d’un film qui s’appelle Day and Night, qui est à l’affiche actuellement au Japon. C’est la société de production pour laquelle je travaille qui l’a produit, donc M. Abe est venu dans notre société plusieurs fois et je l’ai un peu côtoyé. J’ai compris que c’était un acteur très passionné, très sérieux et stoïque, et du coup j’ai pensé à lui pour ce rôle.

Il incarne un rôle difficile, comment s’est-il préparé pour cela ?

Dès qu’on a décidé que M. Abe jouerait le rôle, il a commencé à m’accompagner lorsque je rencontrais des patients paraplégiques pour comprendre un petit peu leur psychologie. On mangeait ensemble, on prenait le thé ensemble, et il venait avec moi. Sinon, pour la préparation physique, ce n’était pas évident puisque le rôle est celui d’un ancien rugbyman, donc il fallait qu’il soit musclé du haut du corps mais très mince du bas du corps puisqu’il ne bouge plus. Il a d’abord porté un collant de contention pour amincir le bas du corps, mais à la fin on a trouvé une solution : c’était de ne pas marcher, tout simplement. Il est resté au lit pendant un mois pour faire maigrir le bas du corps.

Pour rester sur le casting, j’ai lu que le rôle de la petite sœur de Masaya, qui est joué par Shiraishi Sei, avait été difficile à trouver ?

J’ai dû organiser une audition pour ce rôle, mais j’avais déjà rencontré Shiraishi Sei un an auparavant. C’était son premier film mais je pense qu’elle joue très bien. D’ailleurs, bien sûr, avant que je la choisisse, elle a dû jouer devant moi et j’ai trouvé qu’elle était talentueuse. Ensuite je lui ai demandé de participer à l’audition. Il paraît qu’il y a trois cent personnes qui se sont présentées, et c’était la meilleure.

Parlons un peu de la forme. Le film utilise plusieurs ratios d’image. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

La plupart du temps, c’est le format 4:3 qui est utilisé. Il n’y a pas de carton au début du film, mais en fait l’histoire se passe il y a dix ans. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais dans les décors et les accessoires il n’y a pas de choses qui n’existaient pas il y a dix ans. Par exemple il y a des portables mais ce sont des modèles qui existaient il y a dix ans, et c’est la même chose avec les voitures. Nous avons choisi cela puisque bien sûr il y a des hôpitaux qui ont évolué depuis, mais ça ne collait pas avec l’histoire. Du coup nous étions obligés de faire cela, et il y a un côté un peu nostalgique, qui date. Il y a aussi d’autres raisons, notamment par rapport aux sentiments de Masaya. Jusqu’à la fin du film, il est sous pression, il se sent un peu oppressé, et du coup je ne voulais pas laisser de marge, de liberté dans le cadre. Une autre raison est le fait que je voulais apporter un côté réaliste, presque documentaire. Je voulais qu’on se focalise sur le jeu des acteurs et c’est pour ça que je voulais éliminer les marges à gauche et à droite de l’écran. Vers la fin du film, la taille change et on passe du point de vue de Masaya à celui de Mako, une jeune femme qui apparaît à la fin. C’était pour montrer que le temps a passé et que la psychologie de Masaya a évolué aussi. Il se sent libéré à ce moment-là, et j’ai choisi le 16:9 pour avoir plus de respiration, plus de liberté.

J’ai été marquée par la lumière dans le film, qui a un rendu très naturel. Comment êtes-vous arrivé à ce résultat ?

Je pense que c’est dû à la méthode de tournage. Je voulais laisser beaucoup de liberté au cameraman, et dans la plupart des scènes c’est la lumière naturelle qui a été privilégiée parce qu’on ne voulait pas mettre trop de lumières artificielles pour ne pas gêner ses mouvements. Du coup on a effectivement choisi la caméra pour qu’elle rende bien avec la lumière naturelle.

Est-ce que vous pouvez nous expliquer le titre, « Shiori » ?

Il y a deux raisons à ce choix. D’abord, shiori veut dire marque-page en japonais, et j’avais l’impression que les personnages étaient comme des marque-pages. Par exemple, Masaya ferme un livre une fois, mais à la fin du film il décide de continuer la lecture, contrairement à Fujimura qui n’a pas terminé le livre mais qui ne le rouvrira jamais. Voilà, j’avais l’impression que leurs vies ressemblaient à la lecture d’un livre. La deuxième raison vient de l’origine du kanji pour shiori. Il y a un caractère proche qui signifie forêt, qui est plus fourni. En réalité, shiori vient d’un promeneur qui marche dans une forêt, et qui casse des branches pour retrouver le chemin du retour : c’est pour ça que le caractère de shiori est un petit peu moins fourni que celui de forêt. C’est comme des repères en fait, et cela correspondait aussi à ma démarche, puisque je parle aussi de mes expériences personnelles dans le film et j’espérais que cela devienne des repères pour d’autres personnes. Et c’est exactement ce que fait Masaya à la fin : il raconte le cas du garçon, Kaito, pour que cela serve aux autres. C’était mon souhait que cela devienne un repère pour les autres.

Comment a été accueilli le film au Japon ?

Ce n’est pas un film à gros budget, du coup il n’y a pas eu de sortie sur tout le pays. Cependant, il est sorti en octobre au Japon et non seulement il est toujours à l’affiche, mais il est montré dans de plus en plus de salles. C’est la première fois que j’entends quelque chose comme ça mais il y a des gens qui viennent de zones où il n’était pas distribué, qui sont allés le voir ailleurs et qui en revenant dans leur ville ont demandé à leur cinéma de le diffuser. Suite à cela des salles nous ont contactés pour nous demander à pouvoir passer le film. C’est une sorte de bouche-à-oreille qui s’est produit comme ça, indépendamment de nous, et grâce aux gens qui ont vu le film il a pu être montré dans de plus en plus de salles.

Quels sont vos prochains projets ?

En ce moment je prépare une fiction, je suis en train d’en écrire le scénario. J’avais commencé l’écriture avant le tournage de Shiori, mais beaucoup de choses se sont passées donc ce projet a pris un peu de retard. Cette fois cela n’a rien à voir avec le milieu médical, c’est un drame de vengeance.

Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui l’a particulièrement touché ou marqué et de nous expliquer pourquoi. Pour vous, que serait votre moment de cinéma ?

(Il réfléchit longuement) C’est la dernière scène d’un film hollywoodien que j’ai vu quand j’étais enfant, qui s’appelle L’Effet Papillon. Le personnage principal retourne dans le passé pour sauver sa fiancée, et il choisit la version dans laquelle il ne la rencontre pas, puisqu’il pense que c’est ce qui la rendrait la plus heureuse. Du coup il abandonne leur rencontre. C’est une fin à la fois triste et heureuse. En fait, je trouve une certaine beauté dans ce geste de se sacrifier pour quelqu’un d’autre, et je pense que c’est aussi un peu une philosophie japonaise. C’est peut-être pour cette raison que je suis attiré par cette scène.

Propos recueillis par Lila Gleizes à Paris le 11/02/2019.

Traduction : Megumi Kobayashi

Remerciements : Megumi Kobayashi, Xavier Norindr et toute l’équipe de Kinotayo.

Shiori de Sakakibara Yusuke. Japon. 2018. Projeté dans le cadre du Festival Kinotayo.

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