VIDEO – Fish & Cat de Shahram Mokri : cauchemar en forêt

Posté le 7 novembre 2018 par

Hasard du calendrier, le public français va découvrir les œuvres de Shahram Mokri dans l’ordre inverse de leur chronologie. Le 24 octobre dernier sortait sur les écrans Invasion, film au croisement du post-apocalyptique, du film de vampire et du thriller. S’il ne convainc qu’à moitié, sa virtuosité technique n’arrivant pas à faire oublier une austérité rébarbative et un scénario trop complexe, Invasion donnait sacrément envie de découvrir les autres films de Mokri. C’est désormais possible avec la sortie cette semaine, en DVD, de Fish & Cat, sorte de labyrinthe temporel, vertigineux et fascinant.

Un lac dans une forêt iranienne. Des jeunes s’y regroupent pour participer à un concours de cerf-volants. Ils se croisent, s’évitent parfois, trompent leur ennui en évoquant leur situation en ville. Pendant ce temps, un duo d’hommes peu amènes errent autour de leur campement. Il n’est pas nécessaire de trop raconter ce qui se passe dans ce thriller champêtre, et de toutes manières, cela serait impossible. A cela une raison simple, Shahram Mokri a écrit un scénario qui commence de manière assez linéaire, pour ne pas dire banale (présentation du lieu et des personnages), et il va ensuite prendre un malin plaisir à progressivement tordre le fil de la continuité temporelle de son récit. Dès que les protagonistes ont été présentés et qu’ils se sont séparés, le film va répéter les mêmes scènes, les mêmes dialogues à la virgule près, mais en changeant systématiquement de point de vue. Rien de très original à priori, Fish & Cat ne serait pas le premier film à le faire, on pensera bien entendu à des classiques comme Rashomon de Kurosawa Akira, ou le survolté 11:14 de Greg Marcks. Mais là ou le film de Mokri va faire la différence, c’est dans la mise en scène de ce puzzle narratif sans fin.

 

Plutôt que de consacrer des séquences que l’on qualifiera de « montées », d’un point de vue technique, à chacun de ses personnages lorsque c’est leur tour d’être mis en avant au gré du scénario, Mokri choisit de filmer le tout en plan-séquence. Et quand on dit « le tout », c’est absolument tout le film. Fish & Cat n’est composé que d’un seul plan de deux heures vingt, et mieux encore, c’est un film qui va faire se répéter les mêmes scènes, mais en changeant les points de vue à chaque reboot sans aucune rupture temporelle visible. Il en résulte une sorte de manège spatial et temporel assez fascinant et hypnotique, qui s’il peut dérouter en début de film, va vite se révéler passionnant et ludique à suivre. Et comme si cela ne suffisait pas, plus le récit avance et plus il s’avère que les différentes scènes de rencontres ne respectent aucun ordre chronologique mais suivent une logique narrative assez complexe. Pour autant, chaque scène a son importance, une information donnée par un personnage ou un détail dans l’image, lors d’un échange, va avoir un impact dans la suite des événements. Le procédé pourrait être rébarbatif et frustrant à force de multiplier les pistes et les lignes temporelles, mais le film emporte le spectateur dans son tourbillon et s’avère passionnant à suivre (on se demande bien ce que veut le vagabond rôdeur qui suit les campeurs), en multipliant les fausses pistes. La technique du plan-séquence est maîtrisée à la perfection par Mokri. Rarement le spectateur n’aura eu autant l’impression de perdre toute notion de temps et de repères dans l’espace, sans que le procédé ne serve à masquer les faiblesses du scénario. On remarquera le soin apporté à l’ambiance champêtre aux limites de l’oppressant et du malsain, avec une absence de score qui donne parfois l’impression de déambuler sans fin dans les bois avec un lointain cousin iranien de Jason Voorhees à la recherche de sa prochaine victime.

Le film a beau durer deux heures vingt, on ne voit pas le temps passer tant le rythme est fluide et le récit passionnant et ludique. Alors on pourra toujours trouver à redire sur certains comédiens qui ont l’air moins investis que d’autres, mais dans l’ensemble Fish & Cat est une excellente surprise, aux croisements du thriller et du slasher, qui devrait assurer à son réalisateur une reconnaissance publique amplement méritée, et rappeler au Public occidental que le cinéma iranien est capable de se montrer aussi inventif qu’ audacieux.

Romain Leclercq.

Fish & Cat de Shahram Mokri. Iran. 2013. Sortie en DVD chez Damned Distribution le 06/11/2018.

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