LE FILM DE LA SEMAINE – La Saveur des ramen d’Eric Khoo : Cuisine et tradition (en salles le 03/10/2018)

Posté le 6 octobre 2018 par

En 2015, Kawase Naomi réalisait Les Délices de Tokyo, ode à la famille, à la tradition et à la cuisine japonaise qui arrivait, au-delà de sa flamboyante et sublime mise en scène, à toucher au cœur et surtout à l’estomac du spectateur. Kawase parvenait à mettre en valeur le repas et la nourriture, vecteurs essentiels de toute relation sociale et humaine au Japon, qu’elle soit familiale, sociétale ou amicale. Il n’y a qu’à voir les films de Kore-Eda et surtout Notre petite Sœur, dans lequel nombre d’intrigues se font et se défont durant un repas. Si La Saveur des ramen d’Eric Khoo, sorti en salles le 3 octobre, ne parvient pas toujours à égaler le film et la grâce des Délices de Tokyo, il n’en demeure pas moins une touchante chronique humaine et familiale.

Après le surprenant et coloré Hotel Singapura, Khoo redescend sur terre et propose un voyage, initiatique et culinaire, entre le Japon et Singapour avec un jeune homme à la situation familiale que l’on peut qualifier de complexe et passablement déprimante, entre une mère décédée et un père qui ne s’en est jamais remis et qui va finir par la rejoindre. À la suite de ces drames, Masato, notre héros, va partir en quête de ses origines, et faire de nouvelle rencontres.

Le film aurait pu être d’une tristesse sans fin et bercé par ce sentiment de regret ou d’amertume qui étreint les proches d’un disparu à qui l’on regrette de ne pas avoir tout dit, et dont on liste les choses qu’il ne verra jamais. Heureusement, le long-métrage se positionne aux antipodes de la dépression et Khoo fait le choix de transformer cette double épreuve en tremplin pour Masato qui entreprend, par amour et mémoire pour ses parents, de ramener de Singapour au Japon une recette particulière des ramen, que sa mère lui préparait lorsqu’il était petit. Seul souci, la famille singapourienne lui est soit totalement inconnue (l’oncle jovial) soit vraiment hostile (sa grand-mère). Masato ne va pas pour autant se décourager et entreprend de régler ses problèmes familiaux dont il ne comprend pas forcément les tenants et les aboutissants mais qui vont le pousser à se dépasser et l’amener à rencontrer des individus remplis d’amour et de générosité.

C’est exactement dans ces moments-là que le film d’ Eric Khoo se révèle terriblement touchant et humain. Parce que l’on ne va jamais loin en étant seul, Masato va apprendre à rencontrer les gens, les écouter et évoluer à leur côté, qu’ils soient des blogueurs qui aiment partager leur passion pour la gastronomie, ou un oncle à la générosité et à la fibre familiale qui cache de tristes secrets de famille. Masato va découvrir une vie qu’il aurait pu avoir si tout s’était passé normalement au Japon et si l’Histoire, celle avec un grand H, ne s’en était pas mêlée.

Car à travers le personnage de la grand-mère, c’est une partie plus méconnue de l’histoire du Japon qui est mentionnée ici, celle qui a opposé le pays à la Chine et qui a vu de nombreux Chinois se faire massacrer par des soldats japonais, et nombre de familles en payer le prix, entre parents assassinés et lignées familiales brisées. Autant être honnête, si ces événements sont essentiels à l’intrigue, ce n’est pas là que le film se montre le plus efficace, et de toute manière, ce n’est pas du tout le sujet du long-métrage. Mais ça ne coûte rien d’en parler, surtout pour un film qui traite de l’héritage culturel.

Et qui dit culture d’un pays dit gastronomie, et à ce niveau, le film tient toutes ses promesses. Festival de saveurs asiatiques, le métrage est une ode à la gastronomie justement, de celle qui transforme chaque repas en cérémonie, en moment de fête. Le repas est donc festif, mais ici il est vecteur de rencontres (la blogueuse et sa cellule familiale de substitution pour Masato), de rapprochement inter-générationnel, et peut aussi servir à renouer des liens qui ne demandaient qu’à être resserrés. Pour rester dans la comparaison avec le film de Kawase Naomi, ce dernier se montrait plus subtil et poétique dans son mélange des sens et des émotions, alors que la vision de Khoo est plus concrète et moins contemplative, parfois plus maladroite, mais ça n’empêche pas pour autant les émotions et les sentiments, surtout dans la dernière partie du film, qui arrivent à émouvoir de la plus simple et désarmante des façons, autour d’un plat de ramen.

Souvent tendre, parfois naïf et simple dans son récit, La Saveur des ramen n’en demeure pas moins une douce et touchante chronique familiale, où se télescopent héritage culturel et familial, amour et deuil impossible.

Romain Leclercq.

La Saveur des ramen d’Eric Khoo. France-Japon-Singapour. En salles le 03/10/2018.

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