FFCP 2017 – A Taxi Driver de Jang Hoon : Do you remember Sogyeokdong?

Posté le 26 octobre 2017 par

Fort de son expérience à travers 3 films de genre, Jang Hoon mène à terme un projet qu’il porte depuis 2003 : raconter le massacre de Gwangju de 1980. Evènement traumatique de l’histoire coréenne qui représente le basculement dans la dictature. Aujourd’hui le film, A Taxi Driver, est un succès monstre (12 millions de spectateurs) et un phénomène en Corée du Sud. Pour l’occasion, il a fait l’ouverture du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) !

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Dans A Taxi Driver, on embarque avec Kim Man-seob (Song Kang-ho), chauffeur de taxi, veuf, qui tente de joindre les deux bouts tout en s’occupant de sa fille. Le cinéaste fait le choix de se servir de cette figure pour nous guider à travers les événements du film. En effet, Kim Man-seob remplit une fonction d’idiot, une sorte de personnage qui nous ferait découvrir un monde à travers un regard innocent, naïf ou décalé qui contrasterait avec la violence ou la noirceur du dit monde. Ainsi nous suivons le personnage dans sa quête matérielle (seul l’argent intéresse le chauffeur de taxi, jusqu’à un certain point) et dans son quotidien doux-amer. Song Kang-ho est donc à son aise dans ce personnage ordinaire qu’il cultive à  travers les films et qui cache toujours une fascinante singularité. Jang Hoon tente de dépeindre la réalité de l’époque à travers le regard de ce personnage aux mœurs pour le moins réactionnaires face au basculement qui a lieu sous yeux, et la tragédie de l’Histoire en marche. Le personnage de Kim Man-seob s’inspire d’un personnage réel (Kim Sa-bok), qui a accompagné un journaliste allemand (Jürgen Hinzpeter) jusqu’à Gwangju pour en sortir des images qui ont informé la communauté internationale de la situation en Corée du Sud. Peter (Thomas Kretschmann) est donc le journaliste qui sort le chauffeur de taxi de son quotidien pour l’emmener dans un périple qui a autant changé sa vie que l’histoire de son pays.

Ce personnage d’idiot et ce duo incongru, entre le journaliste presque espion et ce chauffeur casanier permet à Jang Hoon de développer des situations qui donnent à son film différentes dimensions et surtout lui permet de jongler avec les tons. On passe donc du buddy-movie au thriller puis au film de guerre, jusqu’au drame familial. Pour déployer toutes les possibilités de son système, le réalisateur fait également exister une galerie de personnages de l’étudiant plein d’espoir, Koo Jae-sik (Ryoo Joon-Yeol), aux journalistes locaux rebelles avec le reporter Choi (Park Hyuk-kwon) qui nous expose les enjeux à différents niveaux de ce combat. La maîtrise du cinéaste des codes du cinéma de genre et sa documentation sur le sujet lui autorise des moments de cinéma très virtuoses. On peut notamment penser à la scène de « chasse » où la police gouvernementale poursuit les protagonistes pour les massacrer. Cette scène est réussie. Elle extrait une situation d’une sorte de réalisme presque documentaire pour la transcender à travers les moyens du cinéma, et donc de nous faire vivre l’effroi que ressentent les personnages à cet instant précis. La colorimétrie de l’image passe au rouge, ce qui nous plonge dans une atmosphère surréaliste, on se croirait dans un slasher où le boogeyman serait le chef de la police militaire (Choi Gwi-ha) qui se démarque par sa carrure et sa violence. Jang Hoon joue avec les ombres et les formes, pour nous suggérer que la menace peut surgir de partout. Cette radicalité formelle est presque toujours payante dans le film. Au-delà de nous signaler la virtuosité du réalisateur, elle nous offre des séquences comme des électrochocs qui marquent le parcours de notre duo. Ces choix formels n’épargnent pas le spectateur de la violence de la situation, au contraire.

Le cinéaste n’hésite pas à montrer la violence de manière très crue, et revendique l’influence de La Bataille D’Alger. Mais la construction des scènes d’émeutes/massacres à travers le montage font surtout écho au travail de Kathryn Bigelow entre un découpage nerveux mais extrêmement précis et l’utilisation de ralentis, ce qui révèle les défauts du film, sa volonté de lyrisme « hollywoodien ». En suivant les codes d’un cinéma populaire, donc le plus accessible possible, Jang Hoon se perd dans une musique sursignifiante et bien trop convenue. On pense à Spielberg, mais aussi aux défauts de ce dernier. Comme si l’histoire que voulait nous raconter le cinéaste devenait plus importante que l’Histoire de son pays. Bien sûr, ce n’est pas le cas, mais l’utilisation systématique de ces codes nous pousse à une émotion forcée qui serait de toute façon présente. Qui resterait insensible devant ces massacres, et devant tant d’injustice en gros plan ? Pourtant la musique et le personnage du journaliste rajoutent toujours une couche de pathos dans un film qui déborde déjà de mélancolie, et de Han, ce sentiment de tristesse fatale propre à la culture coréenne. Peter est également un défaut latent, certes mineur mais qui nous pousse à nous questionner sur sa présence au milieu des Coréens. Le film nous l’introduit par une scène assez trouble au Japon, qui nous montre que comme Kim Man-soeb, s’il veut aller à Gwangju, c’est avant tout par opportunisme. Pourtant, le reste du film lui donne une sorte d’aura messianique. La violence du film serait également un défaut, si elle n’était pas mise en perspective par l’héroïsme que Jang Hoon tente d’exprimer à travers ces gens. Car c’est surtout un film sur l’héroïsme donc sur le sacrifice. A Taxi Driver nous donne à voir le sacrifice héroïque d’une population pour sa liberté. Et les figures qu’il dépeint sont universelles, on pourrait ainsi comprendre le fait que la contextualisation du film se résume à un intertitre en début et en fin de film. C’est parce que ces évènements sont connus de tous en Corée, mais surtout parce qu’ils se répètent encore aujourd’hui partout dans le monde. Et c’est bien de héros dont il s’agit, lorsqu’on apprend que l’abnégation des personnages de la fiction n’est rien comparée à celle des héros du réel à travers la vidéo d’archive de Jürgen Hinzpeter qui nous rappelle qu’avant d’être l’évènement historique, c’était une histoire d’hommes. Une rencontre, et une séparation irréversible. Même le temps du cinéma n’a pas pu remédier à cela, Jürgen Hinzpeter est mort en 2016, juste le temps de rencontrer Jang Hoon mais pas de voir son film.

A Taxi Driver n’est jamais plus fort et plus pertinent que lorsqu’il s’applique à nous faire vivre les changements d’un pays à travers les changements des hommes. L’une des scènes les plus justes du film ne fait que souligner cette évidence qui nous bouleverse. Kim Man-soeb s’apprête à rentrer chez lui pour rejoindre sa fille, et chante. Le sourire sur le visage de Song Kang-ho disparaît petit à petit pour laisser place aux larmes. La caméra ne bouge pas, et nous laisse contempler la fatalité du tragique de l’Histoire. Il ne peut plus rester spectateur, il fait demi-tour pour devenir acteur du monde qu’il subissait. Et peut-être que le spectateur qui a ressenti l’injustice et la violence du monde à travers le visage déconfit de la perte de l’innocence devrait en faire de même.

Kephren Montoute.

A Taxi Driver de Jang Hoon (2017). Projeté lors de la 12e édition du Festival du Film Coréen à Paris.

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