Cannes 2017 – Jour 6 : Baignade solaire (Vers la lumière de Kawase Naomi)

Posté le 26 mai 2017 par

Depuis quelques films, Kawase Naomi ramène son cinéma vers quelque chose de plus épuré, certains diront plus grand public. Avec Vers la lumière, la réalisatrice japonaise choisit la simplicité apparente d’une histoire d’amour sensorielle pour offrir une réflexion sur son propre média, sa propre sensibilité, sa propre vision.

Le film commence de manière assez déconcertante. On y voit un homme s’installer dans une salle de cinéma, mettre des écouteurs, prêt à découvrir le film qui va être projeté sur l’écran. Puis les images et les sons se mélangent, les temporalités aussi, et on se retrouve dans une salle de réunion, où le même film est montré à des personnes malvoyantes, commenté par la jeune audio-descriptrice Misako. Cette projection-test sert à juger de la pertinence du texte lu par Misako pour faire ressentir le plus justement possible aux malvoyants ce qui se passe à l’écran. L’homme vu auparavant, Masaya, un photographe qui perd progressivement la vue, est présent et apporte son point de vue, avec plus ou moins de virulence.

592479cbcd702b5fbebf5a5a

Kawase a le mérite de mettre l’accent sur un métier méconnu et nécessaire. Un métier qui remet en avant le goût des mots. Un métier qui porte notre regard au-delà de notre seule capacité à voir. Confronter l’audio-descriptrice Misako et le photographe Masaya permet à la réalisatrice d’interroger son statut de créatrice d’images. La complémentarité naissante entre Misako et Masaya amène une remise en question de leur propre perception. Cette rencontre pour Masaya est un moyen d’évacuer le sentiment de frustration né d’une perte progressive de l’outil qui lui permet de vivre sa passion. Pour Misako, c’est une occasion de s’épanouir en faisant ce qu’elle aime : apporter par ses mots une nouvelle beauté au monde qui l’entoure. Kawase filme cette relation comme une redécouverte et une réappropriation des sens. Elle choisit la fébrilité du gros plan pour faire ressortir chaque sensation, chaque geste, chaque expression sur des visages souvent illuminés par le soleil couchant. Sa mise en scène extrêmement sensitive, très proche des personnages, recentre notre regard sur eux, sur ce qu’ils voient, sur ce qu’ils sentent, reléguant ce qui les entoure dans un brouhaha aux sons indistincts.

133872.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx

Avec Vers la lumière, Kawase livre clairement un film à fleur de peau. Il n’y a aucun filtre lorsqu’il s’agit d’appuyer le ressenti de chaque personnage, si bien que la cinéaste a parfois la main lourde sur l’émotion facile et l’écriture de certaines scènes, toujours à deux doigts de basculer vers l’histoire d’amour un peu mièvre. Mais elle parvient aussi à atteindre de vrais moments de grâce, et une émotion juste, quand elle révèle la détresse intérieure qui touche les personnages, à l’idée de perdre un élément précieux de leur existence sans pouvoir changer la donne. Cette perte progressive s’observe notamment dans le regard de Masaya. On y voit la flamme de sa passion s’éteindre au fur et à mesure que sa vision s’affaiblit. Un état renforcé par des plans en vue subjective montrant le champ de vision du photographe se rétrécir petit à petit, comme un obturateur d’appareil photo qui se fermerait au ralenti, de manière irrémédiable.

Cette puissance mélancolique, on la doit autant à Kawase qu’à son acteur principal, l’incroyable Nagase Masatoshi, qui arrive à transmettre énormément de choses par l’intensité de son regard. Sa partenaire, Misaki Ayame, apporte un contraste apaisant, et donne au film son envergure poétique. L’alchimie entre les deux interprètes est évidente. Elle porte cette belle histoire d’amour vers la lumière, nappée dans les notes douces du trompettiste Ibrahim Maalouf. A la fin de la séance, on a juste envie d’embrasser le soleil, et de laisser ses rayons nous caresser le visage.

Nicolas Lemerle.

Vers la lumière de Kawase Naomi. Japon. 2017. Cannes 2017 : Sélection officielle.

À écouter

PODCAST EAST ASIA 45 : POD-CANNES 2017

À lire aussi

CANNES 2017 – JOUR 1 : ENTRE ATTENTES ET POLÉMIQUES

CANNES 2017 – JOUR 2 : SECONDE VIE (OH LUCY! DE ATSUKO HIRAYANAGI)

CANNES 2017 – JOUR 3 : VENI VIDI VEGGIE (OKJA DE BONG JOON-HO)

CANNES 2017 – JOUR 4 : ENNUI IMMORTEL (BLADE OF THE IMMORTAL DE MIIKE TAKASHI)

CANNES 2017 – JOUR 5 : DERNIER CONTACT (AVANT QUE NOUS DISPARAISSIONS DE KUROSAWA KIYOSHI)

CANNES 2017 – JOUR 6 : BAIGNADE SOLAIRE (VERS LA LUMIÈRE DE KAWASE NAOMI)

CANNES 2017 – JOUR 7 : UNE VIE DE CINÉMA (LA CAMÉRA DE CLAIRE ET LE JOUR D’APRÈS DE HONG SANG-SOO)

CANNES 2017 – JOUR 8 : L’ÉLÉGANCE CORÉENNE (SANS PITIÉ – THE MERCILESS – DE BYUN SUNG-HYUN)

CANNES 2017 – BILAN : L’ASIE QUASIMENT ABSENTE DU PALMARÈS

Interviews

CANNES 2017 – ENTRETIEN AVEC MIIKE TAKASHI (BLADE OF THE IMMORTAL)

CANNES 2017 – ENTRETIEN AVEC KAWASE NAOMI (VERS LA LUMIÈRE)

CANNES 2017 – ENTRETIEN AVEC KUROSAWA KIYOSHI (AVANT QUE NOUS DISPARAISSION)

CANNES 2017 – ENTRETIEN AVEC ATSUKO HIRAYANAGI (OH LUCY ! – SEMAINE DE LA CRITIQUE)