Le film de la semaine : Taipei Story de Edward Yang – Modern Life is Rubbish

Posté le 12 avril 2017 par

L’année dernière Hou Hsiao-Hsien signait avec The Assassin son retour au cinéma après presque 10 ans d’absence. Cette année, la restauration de la copie de Taipei Story nous permet de découvrir l’œuvre d’un autre immense cinéaste de la nouvelle vague taiwanaise, Edward Yang.

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Taipei Story, sorti en 1985, est le second long-métrage  d’Edward Yang. Le film met en scène un couple et son délitement à travers les péripéties de la vie urbaine. Ce couple, Lon (Hou Hsiao-Hsien) et Chin (Chin Tsai) doit affronter les désagréments prosaïques (travail, argent, famille, confiance…), mais également un malaise nouveau : un vertige urbain. Dressant autant un portrait de la jeunesse taiwanaise que de Taipei en plein boom, Yang tente de capter ce moment où la ville bascule dans la modernité aliénante.  La mise en scène de Yang nous révèle avant tout la solitude de ses personnages. Tel les bâtiments qui commencent à emplir la ville, les gens composent les espaces mais sont seuls. Ils sont ensemble, mais solitaires. Cela est traduit à l’image par les gros plans lors des dialogues, où chaque personnage est isolé durant les discussions. Comme, si au final, dans la mer de bruits que constitue la ville, on ne pouvait parler qu’avec soi-même. Mais, si les personnages sont seuls dans leur dialogue, ils sont réunis dans leur tristesse. Il y a un contraste entre les ensembles tristes, et les isolations par le gros plan plus banales. Le film dépeint une modernité mélancolique. Le personnage de Lon est bercé par son voyage aux USA qui lui a vendu des chimères, tandis que sa compagne se dégrade socialement devant son indifférence, voire l’indifférence du monde entier sauf des éventuels amants. Taipei Story met en évidence la tragique banalité de la vie moderne ; les personnages s’aiment dans le silence, et dérivent jusqu’à la fatalité.

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Yang tente de capter la vérité sur les visages, et les mouvements des corps dans des espaces ultra découpés. La mise en scène joue avec le surcadrage, les lignes de fuites, et le placement des personnages qui appuient leur isolement/séparation. La restauration du film nous permet d’apprécier le travail  sur la lumière et les couleurs (surtout durant les scènes de nuit) qui donnent une valeur picturale à certains plan ou qui peut évoquer des cinéastes qui ont suivi Edward Yang comme Wong Kar-Wai ou Chang Tso-Chi. Le scénario, produit de la collaboration des trois figures de la nouvelle vague Taïwanaise, Edward Yang, Hou Hsiao-Hsien et Wu Nien-jen, n’est pas porteur d’une grande fresque historique ou d’une volonté autobiographique comme ça peut être le cas chez Hou Hsiao-Hsien. Il se structure autour de différentes saynètes qui construisent les images de la modernité taïwanaise. Le film met effectivement le spleen des personnages en avant, mais également celui plus insaisissable d’une grande ville. Le cinéaste capte les pièces vides, les rues, le quotidien presque mécanique de la ville qui semble vider de sa substance vitale. On pense à Michelangelo Antonioni quand on est face à cette beauté triste que provoque la disparition du corps dans l’intimité d’une chambre ou d’un salon. Ce moment où on est entre deux mouvement, ou la vie semble se suspendre. Pour les spectateurs d’aujourd’hui, Taipei Story précède brillamment une autre œuvre qui a également explorer le spleen de la ville 10 ans plus tard, Vive L’amour de Tsai Ming-liang. Les deux œuvres semblent à l’aune de notre regard former un diptyque sur l’échec du partage et de l’échange dans une ville où tout semble se lier et vouer à se rencontrer.

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Le cinéaste taïwanais ne signe pas un tableau fataliste, mais observe froidement l’évaporation des passions et des corps que les bruits de la ville masque et l’architecture opaque réduit au silence. Le film nous propose un voyage dans un présent incertain qui pourrait aussi bien être le notre que celui d’il y a 30 ans. Les actes manqués, les non-dits, et les pulsions qui régissent les personnages sont intemporels et révèlent une fragilité universelle. Finalement, Edward Yang, par sa description de Taipei et ses habitants, va bien plus loin qu’un simple instantané sur la jeunesse taïwanaise. Il touche par les détails et sa mise en scène soignée une sorte de vacuité des passions humaines, une sorte de terrible indifférence moderne, ou un homme peut mourir avec les déchets au bord de la route n’ayant pour seul compagnon l’absurdité de sa situation. Il y a dans ce constat le vertige d’une terrible réalité mais également une triste poésie qui inspirera des cinéastes comme Chang Tso-Chi, Chung Mong-Hong ou encore Olivier Assayas.

Kephren Montoute.

Taipei Story de Edward Yang. Taïwan. 1985. En salles le 12/04/2017.

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