Le pays du matin calme vit des nuits bien agitées. Couteaux aiguisés, ambiance crépusculaire, règlements de compte et trafic en tous genres, Han Jun-Hee nous invite pour son premier long métrage à une visite pour le moins mouvementée du quartier de Chinatown et réalise in fine un thriller moins conventionnel qu’il ne le paraît.
S’ouvrant sur un fait divers qui rappelle étrangement le point de départ des Bébés de la consigne automatique de Ryu Murakami, le film glisse très rapidement vers le polar hard-boiled à la sauce coréenne.
Il-Young, récupérée bébé dans une consigne de gare par un sans-abri, est élevée au sein d’une famille mafieuse sino-coréenne vivant sous le joug de l’impitoyable Ma. Travaillant comme collecteuse de dettes, la jeune femme va s’éprendre contre toute attente du fils de l’un des débiteurs, relation qui va réveiller en elle des qualités humaines insoupçonnées jusqu’alors.
Le film dans sa première heure semble avancer sagement sur un terrain bien balisé, respectant scrupuleusement les règles du genre: personnages brutaux, violence sèche et graphique, environnement social oppressant, le tout parfaitement emballé dans une réalisation percutante. Une efficacité qui nous tient en éveil et va prendre à rebours tous les codes du thriller à mesure que le personnage de Il Young prend conscience de sa féminité et sent le besoin de s’affranchir d’un destin violent tout tracé. La jeune femme évolue dans le microcosme d’immigrés chinois venus s’installer en Corée, bâtarde parmi ses frères et sœur, ils n’existent de par leurs fonctions et leurs utilités au sein de cette structure familiale où trône à son sommet la mère toute puissante.
Cette petite frappe à la silhouette gracile d’apparence asexuée, excellente Kim Go-Eun découverte dans Eungyo de Chung Ji Woo, est mue par son instinct de survie arborant un camouflage social et moral lui permettant de se confondre dans ce monde violent, carapace qui va rapidement voler en éclats.
Le cinéaste adopte un point de vue féminin plus sensible et réaliste, refusant de plonger son personnage dans une odyssée vengeresse à grands renforts de prouesses martiales. Tout en restant dans le carcan du thriller, Coin Locker Girl révèle en son sein un drame intime mâtiné d’un œdipe sanglant. Face à l’anti-héroïne se trouve la matriarche, personnage aussi effrayant que fascinant à laquelle la superbe Kim Hye- Soo (Les braqueurs de Choi Dung- Hoi) prête ses traits. Attitude négligée, cheveux hirsutes, d’un tempérament calme et posé, Ma est détentrice du pouvoir, régit les destins de sa famille et de ses débiteurs, et sait se montrer particulièrement impitoyable dans la négoce de ses affaires. Elle est plus ambiguë avec sa fille adoptive, les deux femmes partageant des liens troubles, Ma voyant dans la jeune femme encore innocente celle qu’elle fut avant d’être corrompue par son milieu et Il Young un modèle maternel étouffant dont elle cherche à échapper. Le cinéaste sème au long de son métrage les indices d’un possible filiation qu’elle soit parentale, lucrative, morale, ou sociétale.
Dans son dénouement, le film voit les trajectoires de certains des personnages principaux quelques peu ellipsés laissant deviner des coupes survenues au montage, et l’on regrette aussi le manque de développement de certains d’entre eux dont le frère de Ma, flic violent et corrompu, au visage en partie brûlé, réduit ici à la simple fonction d’exécuteur.
Sans non plus révolutionner le genre, Coin Locker Girl, sous ses faux airs de polar, est une tragédie familiale sanglante dont la grande force réside dans son personnage central, une marâtre sans pitié, dont la puissance iconique masque les quelques faiblesses d’écriture de ce premier long métrage fort recommandable.
Martin Debat.
Coin Locker Girl de Han Jun-Hee. Corée. 2015. Présenté à Cannes 2015 (Semaine de la Critique).