A Touch of Sin, Jia Zhang-ke

A Touch of Sin de Jia Zhang-ke : la lâcheté, gangrène contagieuse d’un pays malade

Posté le 13 décembre 2013 par

Avec A Touch of Sin, Jia Zhang-ke réalise un film d’une puissance et d’une densité hallucinante, pointant du doigt la lâcheté qui gangrène la Chine actuelle.

La lâcheté est un sentiment propre à l’homme. Des gens, détournant les yeux pour ne pas voir la souffrance de son voisin, ne se préoccupant que de ses soucis. Des esprits faibles, se sentant forts en se réunissant et en oppressant d’autres faibles. La fuite comme moteur pour avancer dans la vie, fermant les yeux, priant pour que d’autres agissent à notre place, la lâcheté nous envahit tous, le courage n’étant, après tout, qu’une manière de surmonter sa lâcheté profonde. Dans A Touch of Sin, peu tentent d’affronter ce sentiment, mais le laissant guider ses actes. Des gangs de petites frappes profitent des faibles. C’est le cas dès les premières minutes avec trois jeunes gangsters qui braquent un pauvre homme en mobylette pour lui voler son argent. C’est le cas de ces simili-triades qui bloquent les ouvriers rentrant chez eux pour leur demander un droit de passage. Une femme blessée, qui veut régler ses comptes avec la maîtresse de son mari, n’y va pas seule, elle emmène deux hommes avec elle pour que la gifle qu’elle assène à sa rivale se transforme en passage à tabac. Mais le mari ayant deux femmes se battant pour lui, réagit-il ? Non, trop lâche pour choisir l’une ou l’autre, il laisse les choses se dérouler sans rien faire. Quand un jeune homme, blessé par un autre ouvrier, veut régler ses comptes avec ce dernier, qui a fui l’entreprise plutôt que d’assumer ses actes, il vient avec deux de ses amis. Les policiers n’enquêtent pas sur les crimes, mais ne font que chercher des immigrants clandestins.

a touch of sin

Pour Jia Zhang-ke, l’absence de courage prend bien des formes et, s’il peut être collectif, il est tout autant solitaire, et, dans ce cas-là, prend l’aspect d’une fuite perpétuelle. La plus évidente est bien sûr ce jeune homme qui passe son temps à fuir. Son inconscience blesse un employé, et le voilà qui quitte la ville pour aller travailler dans un night club. Il tombe amoureux d’une prostituée, son métier rendant cet amour compliqué, et le voilà qui fuit pour aller travailler dans la même entreprise qu’un de ses amis. Et, quand il reçoit des remontrances de sa mère au sujet de l’argent, et tombe sur l’homme qu’il a blessé et ses amis, il commettra la plus grande fuite possible, le suicide. Mais c’est loin d’être le seul cas. Si le jeune homme, braqué au début, abat les gangsters de bas étages, froidement, le spectateur découvre plus tard que ce n’est que pour fuir un ennui qu’il n’a pas le courage de combattre, et que tuer est la seule manière qu’il a trouvé. Quand un homme que l’on pense courageux, lutte contre les manigances des politiciens, il finira par céder et fuir. Fuir la vie en un accès de rage et de violence qui emportera les coupables avec lui.

Pour le réalisateur, la Chine est un pays malade, gangrené, et sa maladie s’écoule dans les rues et contamine ses habitants. Il offre bien quelques pistes pour la comprendre, bien sûr. Il montre ainsi le laxisme des autorités, la violence, les gangs partout. Il désigne la pauvreté et l’insécurité, mais Jia Zhang-ke ne juge pas ses protagonistes. Il filme froidement, cliniquement, posément, laissant leurs propos, et surtout leurs actes, marquer le spectateur. C’est ainsi que des explosions d’une violence froide, tétanisante, dénuée de tout artifice pour édulcorer cela, jaillissent sur l’écran, envahissant l’esprit du spectateur. Jia Zhang-ke est un réalisateur sans concession qui, tel le médecin légiste, dissèque ses personnages, déjà morts avant même d’être passés à l’acte et, à travers cela, il dissèque son pays, tout aussi dénué de vie. À travers A Touch Of Sin, le réalisateur dresse un panorama terrible de son pays. S’il aime la Chine, il met en garde contre les dérives d’une société où la lâcheté occupe toutes les strates de la société et étend ses tentacules sur tous. A Touch Of Sin essaie de plonger dans l’âme de ses spectateurs, pour la malmener face à ce qui se déroule dans la Chine d’aujourd’hui.

Yannik Vanesse.

A Touch of Sin de Jia Zhang-ke. Chine. 2013. En salles le 11/12/2013.

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