En 2010, Outrage voyait Kitano revenir au cinéma de genre avec un Yakuza Eiga nihiliste, dans lequel le désenchantement avait pris du terrain sur la mélancolie de ses grandes œuvres des années 90. Outrage Beyond pousse la logique encore plus loin, mais avec une précision inédite dans la mise en scène et une profondeur renouvelée. Quelques impressions pour célébrer la généreuse et événementielle projection du film au festival Kinotayo.
À la valse des limousines qui ouvrait Outrage succède dans sa suite l’image liminaire d’une voiture pitoyablement repêchée, dégoulinant d’eau, et dans laquelle on devine quelques cadavres noyés par les survivants du premier opus. Attention à la douche froide, nous prévient Kitano avec cette entrée en matière mettant à mal les signes de richesse qui ouvraient le premier volet d’Outrage : l’absurde jeu de massacre continue, mais le ton n’est plus le même. Le cynisme désabusé a fait place à une profonde tristesse, à un impitoyable constat d’impuissance à changer quoi que ce soit. Après l’ivresse sanglante, voici venu le temps de la gueule de bois.
L’histoire : Cinq ans après Outrage, rien n’a changé. De nouvelles têtes ont pris la relève des anciennes, mais elles continuent de tomber avec autant de vigueur.
Ça vous a plus hein ! Vous en d’mandez encore ? Et bien, écoutez l’histoire de…
Car bien sûr, en réalisant une séquelle à son plus gros succès au Japon, Kitano ne pouvait prendre la liberté de laisser son personnage mort. Il le ressuscite négligemment, mais Otomo Beyond n’est plus tout à fait l’homme que l’on a connu, et son changement cristallise les modifications profondes du cinéma de Kitano entre les deux films. Il n’est plus le tueur sadique qui s’amuse à la vue du sang, mais un homme fatigué de toujours faire la même chose, qui en a marre de verser le sang et qui se passerait bien du dernier tour de piste qu’on lui impose à sa sortie de prison.
L’inlassable détective Kataoka lui propose en effet une vengeance qu’il ne peut pas refuser. Et le yakuza part pour une guerre de plus, poussé par le policier manipulateur veillant à ses intérêts, comme Kitano réalise un film violent de plus, convaincu par ses producteurs d’obéir au public qui réclame une suite, afin de gonfler ses intérêts. Un désespoir complet envahit le film, la sensation d’emprisonnement que le personnage d’Otomo ressent face à cette obligation à faire couler le sang faisant écho à celle de Kitano à le filmer, encore et toujours.
Et pourtant, tout comme Otomo s’applique à tuer de manière toujours plus originale et à prendre, une fois sa mission acceptée, celle-ci très au sérieux, Kitano ne brade pas son nouveau film de yakuza. Il gomme ainsi les défauts du premier Outrage (les apartés embarrassants avec l’ambassadeur africain) et gagne même en fluidité et finesse dans sa mise en scène, que l’on n’a jamais vu aussi alerte et précise. Et surtout le cynisme potache fait place à une profondeur, qui n’est plus la mélancolie suicidaire des premiers films, mais arrive à être aussi touchante.
Bien sûr, ceux qui pouvaient reprocher à la sortie d’Outrage à Kitano de faire du Kitano, aveugles à la profonde mutation d’un cinéaste qui arrive à perpétuellement se renouveler, resteront sans doute une nouvelle fois insensibles à cette nouvelle étape, les autres continueront à se réjouir d’une telle résurrection, et attendront, curieux, de découvrir la prochaine étape de la transformation de Kitano.
Victor Lopez
Outrage Beyong de Kitano Takeshi projeté en ouverture du festival Kinotayo 2013. Informations ici !