Après Le Mariage de Tuya et La Tisseuse, Wang Quan’An revient avec une belle comédie dramatique, Apart Together. Par Jérémy Coifman.
L’histoire :
Qiao Yu’e et Liu se retrouvent après 50 années de séparation. En 1949, soldat dans l’armée nationaliste, Liu a fui Shanghai devant l’avancée des troupes communistes. Parti se réfugier à Taïwan alors coupé de la Chine continentale, il a laissé derrière lui sa femme Qiao Yu’e, enceinte de leur enfant. Alors que la normalisation des relations entre la Chine et Taïwan lui permet de retourner à Shanghai, il va voir que la vie a bien changé à Shanghai, mais que la Qiao Yu’e qu’il a connu, elle, est toujours la même. Pourtant, elle a eu le temps de fonder une nouvelle famille.
Shanghai, théâtre et acteur
Que Wang Quan’An situe l’action de son film dans la ville de Shanghai n’est surement pas le fruit du hasard. Tout d’abord parce qu’il a été inspiré par un reportage télé se passant dans cette ville, et surtout parce qu’elle est le symbole d’un pays en pleine expansion économique, de plus en plus ouverte au capitalisme.
Liu, qui n’était pas rentré à Shanghai depuis 50 ans, ne reconnaît pas sa ville. Plusieurs fois, il clamera son incompréhension, et plus d’une fois on sentira son regard perdu, au détour d’une rue, ou quand il regarde au loin le paysage nouveau. Alors, la première chose qu’il fait, c’est de visiter la ville, dans un car, comme le touriste qu’il est devenu avec le temps. On suivra l’une de ses visites, la guide expliquant quelques changements architecturaux (construction de ponts, de buildings imposants, toujours en citant son modèle occidental).
Le contraste que Wang Quan’An montre est saisissant. De cette ambiance occidentale, on n’aura que quelques bribes. La plupart des scènes du film prennent place dans le Shanghai populaire, où les maisons sont simples, traditionnelles. Les petits marchés, les quartiers où tout le monde se connaît. Quand la caméra du cinéaste prend de l’ampleur, elle montre toute l’ambivalence de la ville, entre modernité et tradition. La photographie est maussade, il fait toujours gris, la mélancolie squatte l’écran, Shanghai traine son spleen.
Les amants maudits
Pourtant, malgré la grisaille de Shanghai, le film reste léger, surtout grâce à ses protagonistes. Qiao Yu’e, Liu et Lu sont trois superbes personnages. Le triangle amoureux qui s’opère, en plus d’apporter des moments très drôles, se révèle d’une tendresse touchante. Les acteurs (Lisa Lu, Ling Feng et Xu Caigen) sont formidables. Les petits yeux tristes de Liu, ceux rieurs de Lu ou les postures de Qiao Yu’e provoquent en nous beaucoup d’émotions. On passe facilement du rire aux larmes dans Apart Together. Wang Quan’An ne prend partie pour aucun des personnages, et c’est aussi ce qui rend le film passionnant à suivre. En ne portant aucun jugement de valeur, il montre surtout que ces gens sont tout simplement victimes des évènements.
Apart Together est une histoire d’amour déchirante. Liu et Qiao sont des amants maudits, qui, quoi qu’ils fassent, ne pourront jamais vivre ensemble. L’amour les unifiant depuis plus de 50 ans s’est réveillé en un seul regard. Pourtant, ils n’ont été mariés qu’un an avant leur séparation, mais ce lien est incassable. Lu, vivant avec Qiao depuis tant d’années, le sait pertinemment. Il n’y a rien qu’il puisse faire pour empêcher sa femme d’aimer « le Taïwanais ». Le voir accueillir l’ex-mari de sa femme les bras ouverts et avec le sourire est quelque chose de terriblement drôle et profondément triste. L’amour rend malade (Lu qui fait un malaise cardiaque), mais il donne un sens à la vie. Lu demandera à sa femme, « si tu ne m’as pas aimé pendant ces 50 ans, à quoi tout cela pouvait-il bien servir ? ». Le vieil homme ne veut pas se l’avouer, mais s’il perd sa femme, il n’a aucune raison de continuer à vivre.
Le goût du saké
Durant presque la moitié du long métrage, Wang Quan’An filme ses personnages à table en train de manger. Repas en famille, repas intimiste, la nourriture et le vin ont le don d’ouvrir les cœurs et surtout de délier les langues. Ces scènes de repas sont magnifiques. D’abord parce qu’elles sont toujours drôles et émouvantes, mais aussi parce qu’elles font toujours avancer le récit vers quelque chose de plus profond. Chaque repas est une escalade. Il y a le premier repas, où l’on sent quelques rancœurs, puis petit à petit, tout ce joli monde va gentiment se lâcher, à commencer par Lu. Le dernier repas entre les trois protagonistes, au rythme de chansons traditionnelles, est magnifique. Une sorte de bouquet final, un bel adieu. Finalement, la cuisine les rapproche. Le temps d’un repas, ils se comprennent enfin.
Verdict :
Apart Together est une belle réussite. Sans jamais verser dans le sentimentalisme ou dans le pamphlet politique, Wang Quan’An trouve le ton juste et touche en plein cœur. Un grand petit film.
Jérémy Coifman.
Apart Together de Wang Quan’An, en salles le 07/03/2012.