Après s’être attardé sur Manga no Densetsu, East Asia plonge dans l’univers des samouraïs, dans un Japon fictif inspiré du chanbara, avec Les Errants d’Ukiyo. Par Yannik Vanesse.
Certains lecteurs pourraient ne pas être familiers avec le jeu de rôle, loisir abordé depuis peu au sein d’East Asia. Ceux désirant en savoir plus peuvent aller lire l’introduction de la critique de Manga no Densetsu, qui détaille longuement cette passion.
Quant aux autres lecteurs, ils savent que le jeu de rôle dépeint souvent quelque chose de complexe, et a donc besoin de place. La plupart des jeux de rôle se présentent sous l’apparence d’épais ouvrages, qui s’agrémentent souvent rapidement de suppléments. Certains ne peuvent même pas se contenter d’un seul livre pour exposer les bases de leur univers qui va s’articuler autour d’un livre des joueurs et d’un autre pour le maître de jeu. C’est le cas de Manga no Densetsu, mais aussi de beaucoup d’autres, comme 7thSea. Parfois, un troisième livre est nécessaire, regroupant le bestiaire. Bien évidemment, il existe des jeux de rôle aux univers et règles bien moins denses, et il ne saurait être possible de juger la qualité d’un jeu de part la quantité d’informations qu’il fournit. Cependant, cela permet de savoir si nous avons affaire à un jeu complexe (que ce soit un univers longuement décrit, avec détails topographiques, religieux ou politiques, ou un système de jeu simulationniste empli de tables, de cas de figure, de diagrammes et autres), ou au contraire un jeu simple. Celui-ci ne veut évidemment pas dire simpliste, un jeu de rôle comme Patient 13 le prouvant aisément, avec un système de création et de règles on ne peut plus simples, un univers fermé rapidement expliqué, et pourtant une ambiance étrange et sombre clairement unique !
Ainsi, en prenant Les Errants d’Ukiyo, impossible de ne pas imaginer un jeu facile d’accès. 143 pages, une fiche de personnages très courte, tout semble fait pour nous offrir un jeu au système tenant sur quelques lignes et à l’univers décrit en quelques pages. Ce qui est aussi juste que faux.
À peine ouvert, déjà, le lecteur est agréablement surpris. En effet, si le livre en noir et blanc est sobre, le style est fluide, plaisant, sans coquille ou faute, et embelli par de jolies illustrations mettant bien dans l’ambiance. Celle-ci, revendiquée par l’auteur, est celle des films de sabre des années 70, des bons comme les pires séries Z (Vivien Féasson allant même jusqu’à suggérer de faire en sorte que les descriptions du maître de jeu soulignent les effets spéciaux sommaires de certains films). Les joueurs y incarnent des combattants errants, tels Zatoichi, qui luttent contre la vilénie. Mais ce ne sont en général pas des héros, au sens pur du terme, plutôt des anti-héros, des personnages désabusés, marqués, qui évoluent dans un Japon fictif des plus sombres. Enfin, fictif… Le Japon dépeint a des bases historiques, mais ne se veut qu’un reflet de la réalité de l’époque, tout en prenant de larges libertés – bien qu’avec de la recherche, il soit facile de coller au plus près de l’Histoire.
La manière dont est décrit l’univers est particulièrement bien trouvée. L’auteur a choisi de s’intéresser à des points significatifs du Japon (la ville, la forêt, les montagnes, etc.) et d’en brosser des généralités, puis quelques endroits spécifiques et de terminer, pour chaque description, par quelques scénettes, pour autant de synopsis de scénarios. La création de personnages est d’une simplicité enfantine mais, pour les joueurs voulant se lancer immédiatement dans l’aventure, il est possible d’utiliser l’un des archétypes fournis. L’auteur livre aussi une galerie de portraits d’alliés ou d’adversaires potentiels, offrant un joli matériel pour un maître de jeu désireux de créer une campagne dans cet univers.
Ce dernier devra cependant se préparer à un certain travail en amont. En effet, l’univers étant dépeint un peu sommairement, il lui faudra alors réfléchir et retravailler certains lieux pour ne pas tomber dans la répétition. Cependant, un maître de jeu sait qu’il devra de toute façon fournir un certain travail pour rendre une campagne intéressante, et Vivien Faesson donne de très bons conseils sur la manière de maîtriser une campagne des Errants d’Ukiyo.
De surcroît, le livre nous offre même un scénario d’introduction. La trame en est classique (deux gangs se livrent une guerre froide dans un village, et l’arrivée des personnages joueurs mettra le feu aux poudres, les deux camps voulant leur demander de les aider à se défaire de leurs ennemis) mais très intéressante. En effet, elle permet aux joueurs de faire connaissance d’une manière peu usitée, puisqu’ils risquent d’être dans des camps opposés, et donc de se combattre. Cette méthode demande cependant un peu de pratique et le scénario en lui-même devra être bien retravaillé, n’étant livré que sous forme d’un gros synopsis.
Il est à présent temps d’aborder le système de jeu, gardé pour la fin pour une raison bien précise. Le lecteur s’attend à trouver un système d’une grande simplicité, et c’est effectivement ce qu’il va avoir sous les yeux. Du moins en apparence… Il suffit de lancer deux dés à six faces, de rajouter le score dans la technique utilisée (le jeu ne possédant aucune liste définie, il faudra les inventer, ce qui peut s’avérer très drôle) et de faire plus que son adversaire. À cela s’ajoutent quelques spécificités, comme la possibilité de refuser l’initiative par politesse, la distinction entre les deux types d’adversaires (figurants et têtes d’affiches, pour rester dans une logique cinématographique) et la possibilité de faire ce qui est appelé un pari du yakuza. Ce jet permet de parier des jetons sur un jet de dé, en choisissant si le résultat sera pair ou impair et, en cas de succès, donne un avantage.
Cependant, derrière cette simplicité de façade, se cache rien de moins qu’une manière totalement innovante (et déstabilisante au début) d’appréhender le jeu de rôle. Ici pas de seuil fixe à atteindre, ou autre. Tout se joue en manche. Dès qu’une situation nécessitant un jet se présente, le meneur doit d’abord déterminer la dangerosité de l’action. Plus elle est élevée, plus le personnage joueur devra remporter de manches pour s’en sortir. Ensuite, il devra choisir sa technique, donc, et faire son jet (et, s’il ne change pas de technique de manche en manche, il aura un malus). Puis le maître de jeu fera de même, sachant donc que tout obstacle aura des compétences. Un mur pourrait par exemple avoir les compétences « paroi glissante à cause de la mousse », et « sommet recouvert de tessons de verres ».
Les Errants d’Ukiyo est donc un jeu très cinématographique (il est même possible de dépenser son expérience en combats pour symboliser le héros qui, tout à coup, se remémore l’enseignement de son vieux maître) et très sombre, qu’il est très facile d’appréhender et de comprendre. Et ses innovations en font un jeu à part et très intéressant !
Ce n’est guère surprenant, Vivien Faesson a d’abord développé son jeu de manière amateur. Car, en ces temps où la prise de risque pour un éditeur peut se révéler fatale, nombre de jeux, s’ils ne sont pas développés par de grosses maisons d’édition ou par des gens connus, sont publiés de cette manière, que ce soit par des concours comme Les Démiurges en herbe, ou sur internet, téléchargeables, gratuitement ou pas, en pdf. C’est ainsi que Les Errants d’Ukiyo a été remarqué par les Editions Icare, qui ont voulu lui donner sa chance.
Ynnik Vanesse.
Les Errants d’Ukiyo est un jeu de rôle de Vivien Féasson, édité par les Editions Icare.