Le Temps des moissons est une poignante fresque travaillant l’intime et le collectif pour illustrer la bascule de la Chine rurale dans la modernité. C’est à voir cette semaine en salle distribué par ARP Sélection.

Chuang doit passer l’année de ses dix ans à la campagne, en famille mais sans ses parents, partis en ville chercher du travail. Le cycle des saisons, des mariages et des funérailles, le poids des traditions et l’attrait du progrès, rien n’échappe à l’enfant, notamment les silences de sa tante, une jeune femme qui aspire à une vie plus libre.
Le Temps des moissons est une magnifique fresque rurale capturant, par le prisme intime, la Chine à un moment charnière de son histoire. Cette bascule se fait à travers le regard du jeune Chuang (Shang Wang), garçon de dix ans habitant avec ses grands-parents. Ceux-ci vivent les derniers feux de la politique rurale collectiviste de la Chine, amenée à s’inscrire dans une logique capitaliste avec l’industrialisation de l’exploitation et le produit de leur terre désormais livré de manière individuelle par les paysans. Le récit se déroule justement en 1991, année durant laquelle ces changements interviennent et l’ensemble revêt une dimension autobiographique et nostalgique pour le réalisateur.

L’intérêt de Huo Meng repose moins sur le réalisme de cette vie rurale (même si elle est impeccablement retranscrite) que sur l’observation tendre et bienveillante d’un lien tant familial que social dans cette communauté. Les difficultés sont bien là, mais la solidarité permet de les surmonter tant bien que mal, à l’image de ces voisins ayant du mal à joindre les deux bouts avec un fils aîné attardé mental ne pouvant les aider dans leur labeur. La modernité s’invite par intermittence, l’apparition d’une voiture nous rassurant sur le fait que l’ensemble se déroule bien à la fin du XXe siècle, ou encore les haut-parleurs diffusant les actualités internationales en ville pour des locaux indifférents car tout à leurs préoccupations quotidiennes.

Huo Meng embrasse cette harmonie collective par une imagerie ample, des plans d’ensemble somptueux observant au fil des saisons les paysans au travail. Ce regard macro s’imprègne d’une attention micro pour saisir les individus dans leurs tracas intimes. Le héros Chuang subit ainsi la politique de l’enfant unique en étant séparé de ses parents (situation offrant d’ailleurs une déchirante scène de séparation toute en retenue), mais la cellule familiale lui permet d’avoir une mère de substitution par sa jeune tante (Zhang Chuwen) avec laquelle il entretien un lien profond. Le réalisateur joue d’ailleurs de ce côté macro et micro pour cet élément du récit quand, en début de film, on voit en plan d’ensemble Chuang quitter sa mère «biologique» pour courir retrouver cette mère putative dans une même image. La séparation se fera aussi à ces deux échelles lorsque la tante, pour couvrir la naissance supplémentaire plaçant sa sœur en porte-à-faux, devra épouser un homme qu’elle n’aime pas.

La transition entre les saisons correspond aussi symboliquement à la rupture avec cette existence paisible. Le printemps et l’été guident les humeurs les plus contemplatives, les moments les plus radieux, quand l’hiver fait surgir les éléments de nouveau macro et micro qui briseront l’harmonie. La douloureuse cérémonie de mariage intervient en hiver, les premières machines agricoles exercent leur efficacité sous la neige, le décès paisible d’une matriarche tout comme celui tragique et accidentel d’un jeune se passe dans la blancheur hivernale. Le Temps des moissons est une belle odyssée introspective dont l’émotion ne se dément jamais.

Le film gêne paradoxalement le pouvoir Chinois aux entournures en célébrant cette époque révolue, notamment par l’interprétation qu’en feront les occidentaux (dont l’auteur de ces lignes) en comparaison d’une Chine moderne et individualiste – entre autres quand le film fut présenté à la Berlinale en 2025 où il remporta l’Ours d’argent – alors que le seul regard nostalgique se tient aussi. Ainsi Le Temps des moissons n’a toujours pas été distribué en Chine à ce jour, et ne doit son exploitation internationale qu’aux accords avec ses coproducteurs étrangers dont la France. Patience en tout cas avant de constituer vos tops de fin d’année, vous n’avez sans doute pas encore vu un film qui pourrait y figurer aux plus hautes places.
Le Temps des moissons de Huo Meng. Chine. 2025. En salles le 24/12/2025.




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