VIDEO – Godspeed de Chung Mong-hong

Posté le 20 mai 2020 par

Godspeed est le 5ème long-métrage du réalisateur taïwanais Chung Mong-hong. Il met sur le devant de la scène le grand acteur comique hongkongais Michael Hui dans un rôle qui lui est inhabituel. Le film est sorti chez Spectrum Films, en même temps que The Great Buddha+ dont Chung est le producteur, et plusieurs années après le DVD de Parking, son premier long-métrage de fiction.

Deux chefs mafieux amis, l’un provenant de Taipei et l’autre résidant dans le sud de Taïwan, s’échangent de la drogue par l’intermédiaire d’une petite main. Ce dernier est chargé de récupérer les paquets et de les amener discrètement entre les deux endroits, via un taxi. Ce jour-là, un chauffeur se propose à lui. Peu emballé par l’automobile en décrépitude et l’attitude aussi insistante que désespérée de ce conducteur, l’homme de main finit par accepter d’être emmené par lui. Les deux compagnons de route se dirigent donc vers le sud du pays et feront face à quelques imprévus…

Godspeed est une œuvre qui s’apparente à plusieurs genres, sans que la variété des styles ne jure en matière de mise en scène. Le film passe de registre en registre, et arbore les couleurs de la comédie noire à travers son humour cynique, du film de triade, du road movie, du buddy movie, du thriller… Sous la caméra de Chung Mong-hong, les contours de cette intrigue de drogue vont et viennent pour mener les spectateur à traverser un drôle de Taïwan. Chung utilise à plusieurs reprises des travelings aériens et filme le taxi sur les routes. Il décrit son pays comme n’étant ni complètement urbain, ni complètement paysan, à travers de grands espaces verts et gris.

 

Les protagonistes de cette histoire sont perdus dans cet entre-deux, et apparaissent pour ce qu’ils sont : de pauvres hères. À ce titre, le personnage du chauffeur de taxi, campé par Michael Hui, est le plus développé. Son histoire est somme toute banale, mais lorsqu’il s’interroge sur toutes ses années à bouger pour finir vieux et pauvre, accompagné d’une famille peu reconnaissante, le pathos ne fonctionne pas nécessairement pour émouvoir, mais plutôt pour rendre compte de l’univers dans lequel il évolue. C’est aussi valable pour le personnage de Nadow, dont l’essentiel de sa vie se résume pendant un long moment du film à être un passeur de drogue blafard, vaguement colérique quand on ne va pas dans son sens. Son changement de tempérament à la toute fin de l’histoire permet à Chung de renverser ce misérabilisme et proposer une séquence profondément humaine, qui surprend car on ne l’attendait pas. Bien que cruels, les chefs mafieux font montre d’une assez solide amitié. Cette relation est la matrice du retournement de situation au milieu du film, preuve que la caractérisation des personnages est articulée correctement pour générer le suspense.

Dans Godspeed, les personnages sont accablés par une misère contextuelle. Ils ne sont pas très riches, ils ne semblent pas montrer beaucoup d’ambition ou vouloir s’extirper de leur condition. La misère est venue à eux et s’en rendant compte trop tardivement, ils l’acceptent avec fatalisme. La comédie cynique est constamment désamorcée par ce rappel à leur réalité sociale. C’est pourquoi la mise en scène de Chung Mong-hong fonctionne aussi bien : en alliant ce décor de routes vides et une vie grise de gens simples, le réalisateur met en place un minimalisme esthétique et narratif parfaitement taillé pour amener le spectateur vers une intrigue à la tension efficace. Tous les éléments du films, aussi bien les accessoires (le canapé géant encore sous emballage, marque de la drôle de relation entre les chefs mafieux), que les actions (le sciage du casque lors du règlement de compte) contribuent à créer un univers légèrement décalé et violent, dans lequel ses membres révèlent leur chaleur seulement par petites touches (minimalisme oblige). Et c’est cette parcimonie qui donne toute sa force à la narration de Godspeed. Chung Mong-hung évite donc deux écueils, celui du thriller ridiculement noir, et du film d’action sirupeux. Il offre ainsi un film intelligemment écrit et des personnages qui évoluent d’une manière naturelle vers quelque chose de positif, après un long attardement sur leur facette tantôt distante les uns des autres, tantôt vénale et intéressée, comme si ces derniers aspects ne pouvaient pas tenir face au besoin de s’entraider.

Godspeed dispose d’une intrigue à l’écriture solide et une direction générale aussi soignée que puissante. Chung Mong-hung endosse plusieurs casquettes (scénariste, réalisateur, chef-opérateur sous le pseudonyme de Nagao Nakashima), si bien qu’on peut le qualifier d’artiste complet. Quant à Michael Hui, il propose une performance magnifique sur un film atypique. Alors qu’il a ravi les spectateurs de Hong Kong et un petit cercle de spectateurs mondiaux avec ses géniales comédies cantonaises à ses débuts dans les années 1970, il s’offre, à 70 bougies passées, une composition originale et d’envergure. C’est un plaisir à voir.

Bonus 

L’édition physique de Godspeed se pare d’une belle jaquette justement minimaliste, dessinée expressément pour la version française. Les bonus sont, comme à l’accoutumée avec Spectrum Films, nombreux et riches. Nous pourrons donc avoir une remise en contexte du film et du réalisateur par Wafa Ghermani, spécialiste en France du cinéma taïwanais, et une analyse claire de Panos Kotzathanasis du média Asian Movie Pulse. On enchaîne avec une interview de Michael Hui réalisée à l’occasion de la sortie du film. On y découvre un acteur plein d’humilité et montrant un véritable instinct quant au devenir de la comédie au cinéma. S’en suit pas moins d’une heure de making-of où le plateau de Godspeed est passé au crible. Pour terminer, la bande-annonce du film est présente. Les bonus vidéos se suivent avec beaucoup d’intérêt, notamment ceux interrogeant Wafa Ghermani, Panos Kotzathanasis et Michael Hui, grâce à la connaissance en leur sujet, et derrière cela, la passion du cinéma qu’ils parviennent à transmettre, comme spécialiste, critique ou acteur.

Maxime Bauer.

Godspeed de Chung Mong-hong. Taïwan. 2016. Disponible en combo Blu-Ray/DVD chez Spectrum Films en mars 2020.

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