Tokyo, de nos jours. Takuya et Mamoru, deux jeunes de milieux défavorisés, gagnent leur vie en piégeant des hommes et en revendant leurs pièces d’identité à la pègre. Lassé de cette vie précaire, Takuya manigance secrètement pour quitter ce monde marginal dirigé par une mafia locale. Kajitani, son ancien mentor, le met en garde : se débarrasser de la mafia n’est pas chose aisée.

Baka’s Identity est adapté du roman éponyme de Nishio Jun, le portrait de Takuya, jeune escroc plongé dans la pègre tokyoïte, dont l’histoire est racontée par cinq personnes en autant de chapitres : son acolyte Mamoru, son ancien mentor Kajitani, une complice, une victime et un inspecteur de police. Autant de points de vue convergents, contradictoires ou complémentaires pour comprendre la trajectoire de ce délinquant et son désir de changer de vie. Pour l’adaptation cinématographique, le scénariste Mukai Kosuke (connu pour le scénario d’A Man d’Ishikawa Kei) a resserré l’histoire en trois parties : le point de vue de Mamoru, celui (central) de Takuya et celui de Kajitani.
Le cinéma japonais est prolixe quand il s’agit de montrer la délinquance des petites frappes de lycée et celle, professionnelle et adulte, des yakuzas. Baka’s Identity est dans un entre-deux : une arnaque perpétrée de manière ludique par des vingtenaires pour gagner de l’argent et vivre « normalement ». L’arnaque à l’identité est un métier comme un autre pour qui vit déjà en marge de la société et n’a pas la possibilité d’aller à l’université ou les compétences requises pour une activité légale. Pour démarcher leurs victimes, Takuya et Mamoru aguichent des hommes désespérés, endettés et sans famille par SMS en se faisant passer pour une jeune femme. Quand la victime est hameçonnée, ils lui proposent de vendre son identité pour une somme rondelette. Un mode opératoire bien huilé qui permet de s’acheter des vêtements de luxe et de passer du bon temps dans les bars du quartier de Kabukicho. Sauf que cette arnaque à l’identité est l’activité la moins dangereuse d’un groupe mafieux qui s’adonne aussi à l’extorsion et au trafic d’organes. Quand Takuya veut fuir ce monde, il est vite rattrapé. Et ça ne rigole plus. D’où cette rupture de ton dans le dernier tiers du film, particulièrement sanglant (avec une certaine complaisance), en réponse brutale à la ferveur et l’insouciance initiales.

Le film est porté par son trio d’acteurs principaux : Kitamura Takumi (Takuya), Hayashi Yuta (Mamoru) et Ayano Go (Kajitani), récompensés du prix collectif de meilleurs acteurs au dernier Festival de Busan. À eux trois, ils forment un semblant de famille. Takuya et Mamoru, comme deux frères, l’aîné protégeant le plus jeune, et Kajitani comme père. Une situation assez illusoire et toxique : les trois chapitres du film et les multiples flashbacks nous en apprennent plus sur leurs parcours et les liens qui les unissent vraiment. C’est pour une bonne action que Takuya, alors étudiant, a vendu à Kajitani son titre d’identité, prélude à une vie clandestine et précaire, l’obligeant à son tour à rejoindre le groupe mafieux. C’est le début d’un cercle infernal et des larcins, qui se perpétuent quand Takuya lui-même décide, toujours par altruisme, de prendre sous son aile Mamoru, adolescent de province orphelin et battu par ses frères, sans but ni repères. On a donc ce trio lié de force par un pacte diabolique, un pacte où il n’y a plus de frontières entre fraternité, trahison et exploitation. Un pacte où chacun profite de l’autre, avec cynisme, égoïsme et intérêts. Dépourvu de sa véritable identité civile, Takuya existe-t-il encore vraiment ou n’est-il qu’une marchandise à la merci de la mafia ? Les mafieux ont leur propre réponse…
Avoir une nouvelle identité et retrouver son humanité : c’est le chemin de croix du trio Takuya/Mamoru/Kajitana. La lueur d’espoir viendra de la possibilité de repartir à zéro et de fonder une famille. Toujours la famille. Un thème omniprésent qui peut être une grille de lecture et d’analyse du cinéma japonais, d’Ozu à Kore-eda, en passant par Oshima Nagisa ou Ishii Sogo.
Marc L’Helgoualc’h
Baka’s Identity de Nagata Koto. Japon. 2025. Projeté au Festival Kinotayo 2025.




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