FFHKP 2025 – Papa de Philip Yung

Posté le 24 novembre 2025 par

Dans le cadre du focus sur l’acteur Sean Lau, aussi connu sous le nom de Lau Ching-wan, le Festival du Film Hongkongais de Paris (FFHKP) a projeté le magnifique dernier film de Philip Yung, Papa, qui a permis à l’acteur de décrocher sa quatrième statuette aux Hong Kong Film Awards.

Au cours de ses précédentes éditions, le FFHKP a déjà eu l’occasion de projeter deux autres films de Philip Yung, Port of Call (2015) au début du festival et Where the Wind Blows (2022) l’année dernière. Le réalisateur, connu pour sa mise en scène nerveuse et ses intrigues palpitantes, manœuvre dans un tout autre registre avec Papa, entre portrait social, drame familial et poésie du quotidien.

Le film reprend l’histoire vraie du meurtre d’Heung Wo Street, où un jeune adolescent, lors d’une nuit de l’année 2010 assassine sans préméditation sa mère et sa petite sœur avant de se rendre de lui-même aux autorités, pendant que son père travaillait au restaurant familial. Ce père, c’est le personnage qu’interprète Sean Lau, patron d’un petit cha chaan teng du quartier de Tsuen Wan, ouvert 24h/24 et 7j/7. La famille ne roule pas sur l’or mais parvient à rester à flot et à offrir aux enfants un foyer tout à fait convenable en gardant le restaurant ouvert à tour de rôle.

Dans son postulat de départ, Papa cristallise la famille hongkongaise contemporaine telle qu’elle existe aujourd’hui et telle qu’elle est représentée de plus en plus authentiquement dans le cinéma cantonais de ces dix dernières années, cinéma désormais attaché à porter à l’écran la « réalité hongkongaise » comme elle ne l’a jamais été. Philip Yung embrasse ce nouveau virage esthétique et thématique en tranquillisant son style agité en faveur du temps-long, de la discontinuité narrative, et en enveloppant ses images d’un voile délicat de mélancolie.

La forme de la narration elle-même, structurée en chapitre chacun porté sur un personnage, se substitue à l’évènement traumatique : l’obligation de ressasser des années de mémoire personnelle et collective pour tenter de comprendre le geste définitif de ce garçon sans histoire. La mise en scène prend elle aussi la forme de ces souvenirs. Elle est fuyante, fragmentée, et accuse matériellement du déni du père en remontant constamment le temps, auprès de souvenirs plus joyeux, comme pour retarder l’anéantissement de sa famille. La question du point de vue reste ambiguë : nous comprenons plus ou moins que film est raconté au travers du regard du père, même dans les chapitres concernant d’autres personnages. Certaines parties viennent troubler encore davantage les éléments du récit qui nous parviennent, notamment celle du chat, autour de qui la famille gravite, et bien sûr celle du fils, mais qui ne nous révèle pas vraiment les motifs de son acte. Solitude, harcèlement, colère enfouie de ne jamais voir ses deux parents réunis à cause des activités du restaurant ? La santé mentale est une réponse supposée, mais le « pourquoi ? » est une question sur laquelle, de toute façon, le film s’attarde trop – quand les échos sont déjà suggérés subtilement par cette caméra à la tendance voyeuriste.

Sean Lau, qui signe peut-être là son rôle le plus sensible, avec un jeu tout en retenue auquel il ne nous a pas toujours habitués, incarne impérialement les émotions contraires de son personnage, entre haine, accablement, bienveillance, et sous deux formes interdépendantes, culpabilité. Celle du survivant, d’abord, qui le torture sur les raisons de sa présence à la place de sa femme et de sa fille. Et celle de sa propre parentalité, qui l’amène forcément à penser, en tant que père et personne responsable des actes de ses enfants, qu’il en est peut-être aussi à l’origine. Au point de tension précis où la souffrance de se remémorer rencontre le vide abyssal du temps présent, Philip Yung y dépose cet appareil photo numérique acheté par le père, métaphore par excellence du film de famille, puis déclenche la prise de vue à l’aide du retardateur intégré. Quelques secondes de battement qui veulent tout dire.

Richard Guerry.

Papa de Philip Yung. 2024. Hong Kong. Projeté au FFHKP 2025.