Alors qu’une sortie en salles est prévue courant janvier 2026, le Festival du Film Hongkongais de Paris (FFHKP) a programmé en avant-première Une page après l’autre de Nick Cheuk, titré en anglais Time Still Turns the Pages, une démonstration de force poignante sur l’emprise de la famille et la place de l’éducation dans la société hongkongaise contemporaine.
On aurait préféré ne jamais avoir à réaliser un tel film. Nick Cheuk, dont il s’agit du premier long-métrage, a imaginé l’écriture de ce dernier en réponse au nombre de suicides juvéniles particulièrement plus élevé dans le Hong Kong de ces dernières années qu’à une certaine époque. En cause le système éducatif compétitif, malavisé d’encourager d’autres perspectives de réussite que la pression sur les élèves, et dans un rapport étroit, le modèle familial traditionnel et patriarcal entretenant d’une main ferme le culte de la performance dès le plus jeune âge.
L’histoire se déroule sur deux temporalités. La première dans le temps présent auprès de Mr. Cheng, un enseignant du secondaire (interprété par Lo Chun-yip) quelque peu soucieux du savoir et des manières qu’il souhaite transmettre à la nouvelle génération. Une histoire de harcèlement, puis une lettre de suicide anonyme découverte, le renvoient au vécu de sa propre enfance comme une réminiscence traumatique qui n’a jamais vraiment cicatrisé. La seconde temporalité intervient dans le passé à hauteur d’un petit garçon surnommé Eli qui, contrairement à son frère, n’est pas bon à l’école, a du mal à apprendre et échoue dans ses examens malgré les professeurs particuliers. En résumé, Eli ne fait pas la fierté de ses parents. Le problème étant qu’il grandit dans une famille traditionnelle et fortunée auprès d’un père violent, autoritaire, pour qui la réussite sociale importe plus que le bonheur de ses propres enfants, et auprès d’une mère tout autant accablée par leurs échecs.
Le film jette un regard critique non seulement sur le système éducatif parental et scolaire, mais aussi sur l’absence de considération de la dépression à Hong Kong – applicable dans bien d’autres pays alentours. C’est un visionnage difficile dans le sens où Nick Cheuk ne lésine pas sur les effets dramatiques pour enfoncer le personnage d’Eli dans une torture psychologique (et parfois physique) de tous les jours, jusqu’à lui refuser les moments de tendresse avec son frère, celui à qui tout réussit et qui observe la désintégration du cocon familial dans un silence dévastateur. La pression mise sur Eli se perçoit dans chaque image, tremblante, absurdement douloureuse. Quand une révélation choc vient faire basculer les attentes du spectateur à la moitié du film, on se demande s’il est bien de mise de les manipuler ainsi au beau milieu d’un sujet si sérieux. Nick Cheuk traite d’émotions brutes et enfouies. Il ne lui reste plus qu’à apprendre à les contrôler et à ne pas se laisser envahir par le mélodrame dégoulinant comme c’est parfois le cas dans certaines scènes charnières. Mais Une page après l’autre est un drame aussi éprouvant que fulgurant, dont la nécessité d’une sortie en salles ne fait pas débat.

Richard Guerry.
Une page après l’autre de Nick Cheuk. 2023. Hong Kong. Projeté au FFHKP 2025.




Suivre



