FFCP 2025 – Fragment de Kim Sung-yoon

Posté le 10 novembre 2025 par

Ce 20e Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) était l’occasion de découvrir le premier long métrage de Kim Sung-yoon, assistant réalisateur sur des films comme Kim Ji-young: Born 1982. Fragment est un drame de la culpabilité et du sentiment d’impuissance, porté par des jeunes interprètes prometteurs. Jun-gang, un lycéen vivant seul avec sa sœur tente de trouver des moyens de subsister depuis le départ mystérieux de son père. Un peu plus loin, un autre lycéen, Gi-su, vit cloîtré dans son appartement préservé dans l’état depuis l’assassinat de ses parents. Tout va se compliquer quand Gi-su va découvrir que le fils du meurtrier fréquente le lycée de Jun-gang…

Le film est assez classique sur sa forme et prévisible dans son intrigue, les indices étant donnés dès les premières scènes. On se doute bien que tout l’enjeu va être la rencontre des deux protagonistes et la résolution, tous les deux étant présentés tour à tour comme inquiétants, cachant un secret, et pathétiques dans des scènes visant à susciter l’empathie. La force du film repose donc beaucoup sur le jeu de ses jeunes interprètes, qui savent dégager ce dont la séquence a besoin, pour mettre en avant le mélange de colère et de détresse qui les anime. La prestation de la petite fille est particulièrement notable : elle joue une façade de joie et d’optimisme constant, mais dans certaines scènes, elle laisse le masque se briser, avec des regards contredisant son sourire, dans des expressions très crédibles de douleur rentrée, et l’intrigue parallèle de son coming of age n’est jamais appuyée d’une façon qui nuit à l’intrigue ; elle donne juste plus d’épaisseur aux interactions de la fratrie.

Dans l’ensemble, le film est avant tout un jeu d’interaction entre personnage, les circonstances faisant ressortir le pire ou le meilleur de chacun. Autour des trois enfants gravite une constellation de personnages : la propriétaire qui essaie de chasser Jun-gang, dont les raisons deviennent progressivement claires, malgré sa brutalité, l’enseignant qui essaie tant bien que mal d’éviter que la situation ne dégénère, les camarades de classe prompts à montrer du doigt celui qu’ils considèrent comme un monstre mais capables eux-mêmes des actions les plus haineuses, la famille de Gi-su, partagée entre son seuil et le besoin de sortir Gis-su de son enfermement mortifère dans l’environnement de la nuit du crime… Le récit croisé des emplois du temps de Jun-gang et de Gil-su sert à créer des parallèles mais aussi à souligner des différences entre les deux : tous deux sont profondément seuls, dans un appartement qui se délabre de plus en plus, mais Gil-su refuse les mains qu’on lui tend et s’isole de lui-même, se transformant en figure inquiétante, alors que Jun-gang essaie de donner le change et de respecter les règles, même si le regard des autres face à son secret l’isole profondément et le prive de toute perspective d’amélioration. Peu à peu les fragments liés aux deux personnages se rejoignent et le spectateur peut avoir un vision plus globale des enjeux (la pièce manquante restant toujours les raisons du crime initial, laissée volontairement ambigüe et irrésolue, ce n’est qu’une cause et le film veut montrer des conséquences).

Clairement, ce qui intéresse le réalisateur ce sont les questions de deuil, de culpabilité et de résilience, avec des personnages hantés par l’idée qu’ils auraient pu agir autrement (les antagonistes du film sont par contre tous des personnages qui ne voient pas pourquoi ils devraient se remettre en question, du meurtrier aux harceleurs du lycée, en passant par la propriétaire). Et visiblement, dans son imaginaire, le dépassement n’est possible que dans la quête du pardon et de la rédemption, ce qui fait qu’après un début en forme de drame mêlé de thriller, on se retrouve devant une dernière partie plus pathétique, qui cherche de façon un peu mélodramatique à susciter l’émotion en appuyant sur des éléments que le film avait en fait déjà traités. En soi, ces scènes fonctionnent, mais elle sont moins efficaces que ce qui précède et durent un peu trop longtemps. Les meilleurs moments sont les plus subtils, dans la gêne d’un non dit, dans le regard d’une petite fille qui fait front quand sa meilleure amie lui dit que ses parents lui ont demandé de ne plus la fréquenter. Parfois le film semble avoir peur de perdre le spectateur et appuie une information que la narration avait déjà convoyée sans avoir besoin d’y consacrer un dialogue.  Pour une première œuvre, le film est tout à fait dans les normes coréennes,  bien joué, bien éclairé, avec des cadrages parfois à la limite du film d’horreur adaptés à ce que le réalisateur veut mettre en place. On ne peut qu’être curieux de voir ce que donnera la suite de la carrière du réalisateur quand il sera suffisamment à l’aise pour faire pleinement confiance à son spectateur. En attendant, il a su produire un film assez efficace qui a séduit une partie conséquente du public.

Florent Dichy

Fragment de Kim Sung-yoon. Corée. 2024. Projeté au FFCP 2025