FONDATION JÉRÔME SEYDOUX-PATHÉ : Le Chevalier voleur d’Ito Daisuke

Posté le 11 octobre 2025 par

En ce mois d’octobre 2025, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, dédiée à la programmation du cinéma muet, offre une carte blanche à la National Film Archive of Japan (NFAJ) pour proposer au public parisien des films nippons de l’ère du muet, rares et de styles variés. Parmi eux, Le Chevalier voleur, œuvre peu vue d’Ito Daisuke, l’un des réalisateurs les plus importants des années 1920 dans l’Archipel.

Jirokichi est un voleur qui ne s’en prend qu’aux très riches. En fuite d’Edo vers Osaka, il croise sur un bateau sous un clair de lune romantique Osen, avec qui il entame une liaison. Osen est affublée d’un grand frère sournois et mesquin, Nikichi, qui ne veut qu’une chose : la vendre contre 100 ryos. Osen s’offre comme geisha dans ce contexte familial difficile, et voit en Jirokichi la possibilité d’une autre vie. En voulant arrêter les plans du frère d’Osen, Jirokichi tombe amoureux d’Okino, une jeune femme aussi sous l’emprise de Nikichi…

Ito Daisuke n’est sans doute pas encore reconnu en Occident comme il le devrait. À la fin des années 1920, il réalise la trilogie Chuji’s Travel Diary, trois films que l’on peut considérer comme la première pièce majeure du cinéma japonais, célébrée 30 ans plus tard comme étant le meilleur « film » japonais de tous les temps par la prestigieuse revue Kinema Junpo. À noter, il existe un Blu-ray japonais zone free et avec sous-titres anglais de ce qu’il reste de Chuji’s Travel Diary.

Avec Le Chevalier voleur, adaptation d’un roman de Yoshikawa Eiji (écrivain autrement plus connu pour La Pierre et le sabre), Ito retrouve son acteur fétiche Okochi Denjiro. Il lui fait incarner un Robin des bois de l’ère Edo en version obscure, traversé de troubles, de faiblesses morales. Avec ce film, Ito désacralise entièrement la figure du héros au sens noble du terme, celui qui protège les faibles et arrête les malfaisants. Jirokichi, « le rat », après avoir obtenu une réputation de justicier du peuple, ternit son image dans l’intime auquel assistent les spectateurs du film, par quelque chose de terriblement banal, humain, et quotidien : une erreur de jugement, envers Osen, son amante. Ito semble en effet prendre le parti de son protagoniste féminin principal, en lui faisant porter le poids de nombreux malheurs – les décisions unilatérales de son frère, sa condition de prostituée, l’impossibilité de prouver à son amant Jirokichi, telle Cassandre, qu’elle l’aime vraiment et qu’elle a une aventure avec lui pas seulement pour l’intérêt de sortir de sa condition de geisha… Ce thème mélodramatique, largement popularisé chez de grands réalisateurs comme Mizoguchi Kenji, existait déjà dans le cinéma du début des années 1930 d’Ito Daisuke.

La noirceur totale du film intervient lorsque Jirokichi retrouve ses élans héroïques, mais qu’à l’inverse d’une belle intrigue romanesque, cela ne se fait pas sans heurts. Ito dresse le portrait d’une classe pauvre japonaise, celle des marginaux, des voyous, des démuni(e)s, dont le salut demandera énormément de courage et de sacrifice. Ito choisit de montrer beaucoup de séquences se déroulant la nuit, aussi bien les échauffourées entre Jirokichi et des sabreurs, voyous ou policiers (ou les deux, le frère félon d’Osen ne cherchant qu’à obtenir du matériel pour devenir policier avec sa petite bande), comme pour montrer que la nuit est totale pour ces personnages, aussi bien dans leur façon de vivre qu’à l’intérieur de leur cœur.

Le point culminant de l’histoire se situe lorsque Jirokichi vient au secours d’Okino en mauvaise posture et en passe de devenir geisha, et retrouvant Osen enfermée et attachée par son frère par la même occasion. Les adversaires de ce héros défaillant (les hommes de main du frère d’Osen) le poursuivent dans une bâtisse, dans la nuit complète et à l’aide de lanternes en papier. La mise en scène ne fait ressortir de cette atmosphère nocturne, épaisse comme un brouillard, que les lanternes tournoyantes dans la nervosité ambiante et leur confère une aura mortuaire, comme si des esprits ou des fantômes phosphorescents s’agitaient dans ce lieu où la mort risque de frapper.

À l’instar de toute une lignée de jidai-geki (films d’époque) après lui, Le Chevalier voleur s’achève dans la tragédie, mais les personnages auront conservé ou regagné l’humanisme de leur action. Le film d’Ito est un authentique mélodrame, où l’affection amoureuse se confronte à la portée matérielle de l’existence. L’intrigue de la femme de condition précaire entrant en dissonance cognitive par l’amour qu’elle porte au héros et le risque que l’on pense qu’elle le fréquente uniquement par intérêt, se retrouve à toutes les périodes de l’histoire cinématographique. Ito Daisuke en réalise une occurrente plongée dans les ténèbres, tellement qu’elle provoque une sorte de tétanie.

Maxime Bauer.

Le Chevalier voleur d’Ito Daisuke. Japon. 1931. Projeté à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé dans le cadre de la carte blanche proposée au NFAJ.