VIDEO – Nonnes dans l’enfer des cordes de Fuji Katsuhiko

Posté le 25 juillet 2025 par

Nonnes dans l’enfer des cordes de Fuji Katsuhiko est la dernière sortie roman-porno du Chat qui fume. Au programme : nunsploitation très graphique allant bien plus loin que les canons les plus explicites du genre !

Maria trouve refuge dans un couvent pour échapper à ses péchés et chercher la rédemption. Cependant, son passé la rattrape lorsqu’elle devient la cible de manipulations et de violences, symbolisant un conflit entre ses désirs humains et ses aspirations spirituelles.

Nonnes dans l’enfer des cordes de Fuji Katsuhiko, malgré son programme alléchant, ne fait malheureusement pas partie des roman-pornos les plus intéressants de sa catégorie, malgré son caractère très atypique dans la radicalité avec laquelle il filme le sexe, le rapprochant parfois presque plus d’un AV que d’un roman-porno de la Nikkatsu. L’univers dans lequel s’inscrit le film, adapté de l’univers littéraire de Dan Oniroku (que l’on connaît surtout chez nous pour les adaptations filmiques dont il fut la source), pourrait être sur le papier intriguant, mais l’écriture du film n’arrive jamais à retranscrire les intentions manifestes du cinéaste. Pire, elle les sabote souvent. Le couvent dans lequel Maria vient se réfugier se voudrait être une sorte d’antichambre entre le réel et un monde onirique étrange, fantasmatique, dans lequel le rêve inonde l’image et, comme l’une des sœurs l’évoque à Maria, déborde allégrement sur le réel. Il apparaît cependant bien plus comme une représentation fantasmatique typique et vulgaire d’un porno classique que comme l’étrange dédale concupiscent qu’il tente d’être. Il faut dire que la durée très courte ne permet pas au cinéaste de mettre en place quoi que ce soit, tandis que les bonnes sœurs, d’entrée de jeu ouvertement saphiques ou obsédées sexuelles, n’arrangent en rien la découverte progressive de cette antichambre. Se côtoient donc dans le film, de manière malhabile, le subtil onirisme et le grotesque le plus gras, sans jamais tirer des qualités de chacun.

Il est facilement observable que, dans sa mise en scène surstylisée, Fuji tente de faire quelque chose d’autre qu’un simple roman-porno SM extrême. L’image léchée, par ailleurs bien plus qu’il n’en faut et justifiant le sublime master proposé dans cette édition pour un film finalement assez anecdotique, est redoublée d’une mise en scène travaillée et dont les intentions transpirent à chaque plan. Le nunsploitation japonaise rencontre le giallo italien et le mélange fonctionne assez bien : il est très drôle d’assister à une jonction entre l’Occident chrétien et le Japon dans une rencontre entre Sade et le shibari. Mais même cette qualité est finalement assez relative, car Fuji en fait un peu trop, mise tout sur le visuel (et non sur sa mise en scène qui se révèle rapidement assez vaine bien que visuellement travaillée) et ne creuse jamais quoi que ce soit d’autre. Le cinéaste cite peut-être un peu trop pour le plaisir de citer, ce qui a pour conséquence de faire des plus grandes séquences de Nonnes dans l’enfer des cordes pas grand-chose d’autre que de simples scènes qui pourraient composer un port-folio très joli et démontrant des talents techniques de son auteur.

Du giallo, le cinéaste n’en conserve que l’aspect visuel fortement marqué. Il croit en garder le mystère et l’onirisme mais dresse finalement quelque chose plus proche de l’automatisme utilitaire des pornos (il cherche premièrement à tout installer le plus rapidement et efficacement possible pour laisser toute sa place au sexe et à la jouissance physique du spectateur). De la nunsploitation, il n’en garde que les nonnes concupiscentes et le complot masculin derrière, mais toute la charge blasphématoire et authentiquement scandaleuse en prend un sacré coup. Elle est loin d’être inexistante (on retiendra la culotte de chasteté en métal made in Vatican et la représentation de la crucifixion en fin de film assez radicale), mais se voit déchargée de toute sa puissance véritablement subversive puisque le film ne va pas chercher cette représentation du côté du cinéma. Et finalement, dans une continuité logique avec les choix du cinéaste, lorsqu’il en vient à citer Sade, il ne retient que le sadique en évacuant tout le sadien : adieu l’inventivité formelle complètement folle du Marquis, l’immoralité revendiquée et l’équilibre étrange entre humour et horreur, entre fascination et répulsion. Il ne garde que le sexe déviant et le fantasme, ne cherche pas à repousser le spectateur dans ses retranchements moraux et esthétiques mais à le conforter : la torture est magnifiée par une image jolie, mais lisse ; le sexe à la limite du porno est rendu plastiquement impeccable et, en bref, le geste provoc complètement radical dans cette frontière trouble entre cinéma et porno est totalement aseptisé par une absence de prise de risque et une absence totale de conscience esthétique du cinéaste dans ce qu’il fait. Du film de nonnes scabreux et extrême, Fuji ne livre finalement que sa version porno-chic un peu déviante, beaucoup trop gentiment déviante. Le film est un peu à l’image de la bourgeoisie qu’elle dépeint à travers l’antagoniste qui tient toutes les ficelles de ce pensionnat scabreux. Il est le produit parfait de ce que consommerait cette bourgeoisie : moralement inacceptable, pervers et décadent, mais politiquement et esthétiquement tout à fait inoffensif. La perversion et la décadence n’a jamais dérangé plus que ça tant qu’il se fait à l’abri des regards, loin des terrains gagnés par la morale. Et en tournant le dos au cinéma pour embrasser le porno (dans son acception industrielle : faire du sexe un produit de vente pour le seul plaisir concupiscent et masturbatoire du spectateur), Fuji ne prend donc aucun risque, si ce n’est avec les autorités de l’époque car son roman-porno serait un peu trop porno.

Nonnes dans l’enfer des cordes n’est donc pas le pire représentant du roman-porno : le genre a connu bien pire avec bon nombre de cinéastes se reposant uniquement sur l’aspect scabreux et putassier du genre sans même proposer au spectateur la politesse d’un film qui ne serait pas qu’un simple support à ses activités grivoises. Il va sans dire que Fuji montre bien, durant cette petite heure, ses qualités de technicien : la photographie est très belle, le nouveau master dans cette édition lui rend d’ailleurs honneur ; la mise en scène est techniquement impeccable, bien que vide de toute idée cinématographique ; bref, le film est un joli bonbon pour les yeux et pour n’importe quel amateur de technicité de l’image. Mais avec un mélange pareil dans ce que le cinéaste convoque, il est triste que le film ne se limite qu’au simple exercice technique. Fuji esquisse tout de même des pistes avec ses échos au giallo, son imagerie symbolique pas toujours très fine mais qui aurait pu être vertigineuse s’il ne s’arrêtait pas au simple croquis de son idée. Loin d’être un film honteux, Nonnes dans l’enfer des cordes reste tout de même un représentant bien faiblard du genre, techniquement au point mais cinématographiquement assez vide.

BONUS

Les nonnes d’Oniroku Dan par Clément Rauger : cette superbe présentation du film par Clément Rauger permet de remettre en perspective le produit qu’est Nonnes dans l’enfer des cordes. Si esthétiquement il n’est pas très intéressant, historiquement, il est à la croisée de plusieurs phénomènes du cinéma japonais qui eux le sont : la fin du roman-porno coïncidant avec ses représentations les plus extrêmes, les problèmes avec les autorités, la place de Dan Oniroku dans le genre (aussi bien chez la Nikkatsu que dans les autres studios)… Cette remise en perspective historique, avec quelques clés de lecture pour le film pas inintéressantes, permet à Nonnes dans l’enfer des cordes de se destiner non pas qu’aux amateurs de technicité, mais aussi plus largement aux amateurs de cinéma japonais.

Livret de 40 pages de photos rares issues des coffres de la Nikkatsu : ce petit livret bien fourni est un agréable plus à l’édition. Au-delà de la bonne impression (surtout des images noir et blanc), il vient confirmer que pour Nonnes dans l’enfer des cordes, la représentation du sexe globalement acceptée par les autorités japonaises de l’époque avait été mise à mal, et vient renforcer ce flou (historiquement anachronique présenté ainsi) entre roman-porno et AV.

Thibaut Das Neves

Nonnes dans l’enfer des cordes de Fuji Katsuhiko. 1984. Japon. Disponible en Blu-ray chez Le Chat qui Fume.