MUBI – Memories of Murder de Bong Joon-ho

Posté le 25 janvier 2025 par

Le déjà éternel classique coréen de Bong Joon-ho, Memories of Murder, est disponible sur MUBI dès à présent. Revenons sur ce film qui a marqué les esprits du public depuis sa sortie en 2003.

Début des années 2000, alors que le public cinéphile occidental a le regard principalement tourné vers le monde sinophone et le Japon, terres de cinéma fièrement représentées par des cinéastes comme Kitano TakeshiHou Hsiao-Hsien  ou bien encore Wong Kar-Wai, un pays jusqu’alors plutôt discret sur la scène internationale (comparé à l’activité des voisins) se réveille. Ce pays c’est celui du Matin calme, la Corée du Sud. Dans le trio de tête de cette vague coréenne, on trouve Kim Ki-duk, qui va enchaîner les productions tout au long des années 2000, Park Chan-wook, avec sa trilogie de la vengeance, et enfin celui qui nous intéresse aujourd’hui : Bong Joon-ho. Si son premier film Barking Dog, une comédie sociale, est déjà en soi une belle carte de visite, c’est son deuxième long-métrage qui va le mettre sur le devant de la scène mondiale, avec le succès que l’on connaît, remportant notamment le grand prix au Festival de Cognac. Si, a priori, rien ne différencie foncièrement le script du tout venant de la production cinématographique au rayon film policier (des flics traquent un tueur en série, le tout est inspiré de faits réels qui se sont déroulés entre 1986 et 1991), c’est la mise en scène de Bong Joon-ho  qui va faire la différence et transcender son sujet pour accoucher d’un chef-d’œuvre.

Si le sujet ne prête pas forcément au rire, Bong Joon-ho arrive à trouver le parfait équilibre entre drame, suspense et comédie. Drame et suspense car les crimes vont mobiliser presque tous les policiers du pays dans une gigantesque course contre la montre, avec des forces de l’ordre qui sont vite dépassées par les événements et agissant systématiquement avec un train de retard sur un tueur qui les nargue en direct à la radio. La comédie n’est pas en reste, car là où le film surprend, c’est dans le portrait de son équipe de choc, ses deux inspecteurs locaux, qui vont avoir recours à tous les moyens possibles et imaginables pour coincer le tueur, accompagnés par un policier venu de Séoul pour leur prêter main forte. Lorsque les techniques policières classiques ne marchent plus, nos héros vont par exemple se tourner vers un médium, et partir sur des chemins parfaitement improbables, comme la scène du sauna. On passe ainsi du rire au drame le temps d’une seule scène, avec par exemple les interrogatoires des suspects, qui s’avèrent tour à tour pathétiques et tendus, mais toujours interrompus par un high kick en plein face délivré par un des inspecteurs. On remarquera aussi que le film, en 2003, dressait déjà un portrait peu reluisant des forces de l’ordre et de l’administration de la société coréenne, faisant passer ces dernières pour de parfaits incapables, une tendance qui reviendra souvent dans le cinéma coréen récent, comme dans Tunnel (2016). On notera aussi que le cadre rural de l’enquête est plutôt bien exploité, loin des clichés habituels qui font généralement des grandes cités le terrain de chasse favori des psychopathes.

Memories of Murder révéla aussi le talent de Bong Joon-ho derrière la caméra, autant à l’aise avec ses scènes de comédie que dans la mise en scène des exactions de son tueur en série. Loin de tous les styles un peu tape à l’œil et racoleurs, piège dans lequel tombent nombre de films de genre post-Seven, le réalisateur prend le temps de faire monter la tension, soigne sa photo et ses cadres en filmant ces campagnes de province comme autant de scènes de crime potentielles, où l’horreur peut aussi surgir sous un soleil écrasant que sous une pluie diluvienne. La remasterisation du film permet de redécouvrir la maîtrise du cadre du réalisateur dont les choix de photographie font plonger le film dans l’horreur pure lorsque son tueur passe à l’action (on se souviendra longtemps de ce plan glaçant avec le tueur qui émerge des champs). Bong Joon-ho n’oublie jamais qu’il a une histoire palpitante à raconter au spectateur, et se garde bien de juger ses personnages qu’il finit par rendre terriblement humains dans leurs actions, car même si les inspecteurs semblent faire tout et n’importe quoi pour coincer le tueur, ils sont avant tout mus par une réelle et sincère volonté de mettre fin à l’horreur et à la peur qui grandit dans le pays. Il vaut mieux tenter l’impossible que de ne rien faire et attendre la prochaine victime, quitte à s’abandonner complètement dans l’affaire et à perdre tout repère moral et professionnel, à l’image de l’inspecteur de Séoul qui va progressivement virer borderline alors que son collègue local, au départ assez peu dégourdi, va se révéler efficace dans sa traque du tueur.

Au final, après plus de vingt années d’examen, Memories of Murder confirme le statut qu’il a acquis en tant que film. Le deuxième film de Bong Joon-ho est devenu un classique du cinéma policier. Rien de moins.

Romain Leclercq.

Memories of Murder de Bong Joon-ho. Corée. 2003. Disponible sur MUBI