EN SALLES – Hiver à Sokcho de Kamura Koya : de la neige sur un cœur d’encre

Posté le 9 janvier 2025 par

Présenté en octobre en clôture du Festival du Film Coréen à Paris, Hiver à Sokcho, adaptation du roman du même nom d’Elisa Shua Dusapin et premier long métrage du franco-japonais Kamura Koya, arrive sur nos écrans pour célébrer le début d’année chez Diaphana Distribution. Jolie rêverie sur la rencontre entre un dessinateur français bourru et une jeune femme métisse franco-coréenne chez qui il réveille des questions existentielles, dans le décor de Sokcho, ville balnéaire à la frontière entre les deux Corées, au moment où le froid rend incongrue la présence des touristes. Porté par le duo Bella Kim et Roschdy Zem, le film présente une délicate observation de deux solitudes qui se croisent le temps d’une saison.

L’adaptation se révèle assez fidèle du livre, reprenant même certains dialogues in extenso, mais il ne s’agit pas non plus d’un décalque servile. Non seulement, un certain nombre de scènes se montrent assez différentes, mais le film joue pleinement de son medium pour apporter des éléments propres : le paysage et la dimension graphique. En effet, l’œuvre joue pleinement du lieu dans lequel elle est tournée, gelé entre mer et montagne. La ville en est en quelque sorte le troisième personnage. On remarque d’ailleurs que les dialogues s’intéressent moins au personnage de la bande dessinée qu’écrit le français que le roman (on sait qu’il s’agit d’un voyageur en quête d’absolu), se concentrant justement sur ce qui concerne le paysage et le pays, ce que le film peut spécifiquement mettre en valeur. De même, le film use à plein les scènes de dessin et en profite pour présenter de belles séquences oniriques, avec la participation de l’animatrice Agnès Patron. Les dessins ne ressemblent pas à ceux que décrit le roman, plus modernes et stylisés, mais les choix spécifiques du film révèlent quelques belles surprises (la bande-annonce faisant le choix pertinent de cacher ce point fort du film, il est logique de ne pas trop en dire ici, sinon que l’effet est très réussi et apporte une vraie plus value à cette adaptation).

Il s’agit aussi d’un film d’acteurs : Roschdy Zem est tout à fait à son aise en Yan Kerrand, grognon et peu disert, mais aussi parfois vraiment attentif, qu’il joue comme une sorte de bête blessée, inquiète de trouver la bonne distance avec autrui, sympathique mais tenant à rester « un simple touriste ». Face à lui, on peut saluer la performance de Bella Kim, l’interprète de Soo-ha, dans son premier rôle. La jeune femme incarne parfaitement ce personnage au physique atypique pour une Coréenne, trop grande pour ses proches, toujours implicitement renvoyée à sa condition de métisse. Si le film insiste moins sur la question physique que le roman (même si la thématique est développée, au travers de la jeune femme au visage couvert de bandelettes après sa chirurgie esthétique, et au détour d’une conversation), il recentre par contre l’intrigue sur la question du père absent. En rencontrant un Français, l’héroïne se retrouve confrontée à la question de ses racines, et d’une partie d’elle-même qu’elle ignore. Si elle parle français et a étudié la littérature, elle ne s’est jamais rendue dans le pays, et au fur et à mesure du film, ce qu’elle pense savoir de son géniteur français va s’éroder. On suit en quelque sorte son passage à l’âge adulte, avec ses interrogations sur sa place dans le monde, ses relations, ses aspirations professionnelles, avec pour catalyseur cette relation de passage, qui dépasse le cadre professionnel pour approcher du domaine du complexe d’Electre, projetant le père absent sur cet homme dont en réalité on ne sait presque rien, sinon qu’il porte en lui une blessure. Même si le film joue avec l’idée, il ne s’agit pas d’une histoire d’amour, mais bien d’une rencontre entre deux personnages blessés aux quêtes incompatibles.

Le film est volontiers doux-amer, avec des relations à la fois tendres et compliquées, la jeune femme étant autant aux yeux de ses proches une personne en elle-même que le reflet de la faute de sa mère, fille-mère d’un enfant à demi étranger. La scène de célébration familiale, plus étoffée que celle du livre, est à ce titre très marquante, avec une mise en scène qui met en avant l’intériorité des actrices. On ressent vraiment la difficulté de Soo-ha à trouver sa place dans une société dont elle ne correspond pas exactement aux normes et dans las aspirations de laquelle (mariage, déménagement vers la capitale) elle ne se reconnaît pas. De même, l’aspect de carte postale touristique est déjoué par la morte saison et l’impression constante de solitude des personnages, transformant au fur et à mesure ce qui les entoure en extension du paysage intérieur de la jeune femme, pris dans les glaces en attente d’un réveil.

Le roman était une exploration des pensées de Soo-ha, toute en intériorité, ce qui aurait pu se révéler une gageure pour la transposition à l’écran. La  présence des deux acteurs et l’utilisation intelligente du rapport au dessin lors de quelques séquences, permettent de dépasser ce problème potentiel. Si Roschdy Zem, qui était pour le réalisateur une évidence, incarne parfaitement une certaine image du Français à l’étranger, artiste, fascinant mais pas toujours très poli, la révélation du film est Bella Kim, sur l’interprétation de laquelle le film repose et qui ne démérite pas face à son partenaire émérite. Le personnage qu’elle interprète est nécessairement plus opaque que son modèle littéraire, puisque observé de l’extérieur, sans omniscience, mais il n’en est pas moins intéressant, avec des blessures moins évidemment apparentes mais pourtant bien présentes. Ce premier long-métrage, sensible et mélancolique, est une véritable réussite pour Kamura Koya, auquel on peut souhaiter une belle carrière avec d’autres projets aussi ambitieux que ce tournage entre deux langues, dans le beau mais rude hiver coréen.

Florent Dichy.

Hiver à Sokcho de Kamura Koya. 2024. France-Corée du Sud. En salles le 08/01/2025.