VIDEO – Onimanji de Nishimura Yoshihiro

Posté le 27 septembre 2024 par

Alors que le réalisateur japonais Nishimura Yoshihiro (Tokyo Gore Police, Meatball Machine Kodoku) se faisait plutôt rare ces dernières années sur nos écrans français, l’éditeur Extralucid Films le fait de nouveau circuler avec un combo DVD/Blu-ray de son dernier film Onimanji.

 

Connu pour ses réalisations de splatters comme son film culte, Nishimura réalise cette fois un film d’action basé sur un scénario original co-écrit avec son acteur principal, Mimoto Masanori. On suit l’histoire d’Onimanji, un samouraï-ninja dont l’âme avait été capturée dans une urne il y a 600 ans de cela, qui se fait ressusciter à notre ère par une entreprise de tueur à gages pour qu’il leur serve de prestataire.

Nishimura a toujours été plutôt en marge de la production japonaise en raison du caractère ultraviolent et grotesque de ses œuvres. Quand bien même le splatter japonais a fini par trouver une niche culte auprès d’une certaine partie d’un public d’œuvres bis, des réalisateurs comme celui-ci ou Iguchi Noboru n’ont ni d’énormes moyens de production ni une audience suffisamment large pour pouvoir y prétendre. Si le manque de budget se fait parfois ressentir dans la filmographie de Nishimura, la débrouille et la minutie dans la confection d’effets spéciaux manuels aboutissent parfois sur des trouvailles visuelles notables. Les designs des mutants de Tokyo Gore Police avaient parmi eux des idées esthétiques aussi surprenantes que convaincantes. Dans Onimanji, le budget paraît encore plus resserré et on troque une majorité d’effets spéciaux manuels par de la CGI. C’est une perte notable en soi puisque l’image très lisse des caméras et écrans plus récents met davantage en valeur les éventuels défauts et dessert ici le film qui n’en est pas exempt. On retrouve néanmoins la fraîcheur expérimentale de Nishimura dans les cadrages et le montage, avec une pléthore de propositions diverses et variées qui ne touchent pas toutes leur cible mais ont le mérite de sortir des sentiers battus. De même, le réalisateur semble conscient des limites de ses effets visuels et affiche régulièrement ostensiblement leur aspect factice, comme lorsque les tirs de pistolet explosent en dehors du cadre jusque dans les bandes noires imposées par le format. L’esthétique d’Onimanji verse alors dans des influences manga, avec une liberté de changer de taille de cadres ou de créer une lecture défilante de l’image avec des split-screens horizontaux. En plus de dynamiser le film, ce découpage visuel est rendu très cohérent avec les designs des personnages. On retrouve également des influences de manga et d’animation dans la stylisation des costumes : leurs couleurs vives, les formes géométriques appuyées et l’esthétique au-dessus de la praticité. Peu importe que l’une des antagonistes ne puisse vraisemblablement rien voir au travers de sa coiffure qui lui cache le visage tant que l’aura du personnage est là. Il y a là aussi quelques idées convaincantes comme celle de la principale opposante du récit qui porte des épaules-mitraillettes et des lunettes dont l’un des verres recouvrant son œil borgne est constellé d’un amoncellement de petits yeux en plastique.

Néanmoins, en voyant certains de ces personnages, on peut regretter que le reste de la mise en scène n’ait pas bénéficié d’autant de moyens. Lors des combats, on assiste parfois à des propositions audacieuses mais le reste des séquences se déroulent souvent en plans fixes intérieurs dans des locaux assez interchangeables et dépouillés qui ne servent qu’à planter un vague décor de l’action. Le film semble parfois ainsi inabouti, comme si on avait travaillé qu’à l’avant-plan de l’image. C’est symptomatique des autres défauts d’Onimanji qui ne cesse de proposer mais sans jamais approfondir ce qu’il ébauche. On passe d’affrontement en affrontement avec des personnages qui pourraient ouvrir des lectures ou thématiques diverses mais qui disparaissent alors même qu’ils viennent d’apparaître. Lorsque Miike dans Izo convoquait lui-aussi un samouraï immortel qui venait régler ses comptes dans le présent en enchaînant les combats, il variait les catégories socio-professionnelles de ses opposants. Ce faisant, il figurait la reproduction sociale des classes aisées de la société en liant les anciens seigneurs et samouraï aux avocats, aux hommes d’affaires ou aux politiciens mais aussi aux yakuzas et aux criminels. Ici, Onimanji n’affronte que des assassins, ce qui amoindrit le propos final sur l’humanité qui ne cesserait de s’affronter. De même, certains éléments présentés sans être approfondis mènent à des situations où il est difficile de voir où le réalisateur veut en venir. Il nous présente par exemple des immigrés coréens qui s’en prennent aux personnages principaux avec des pistolets artisanaux ressemblant à s’y méprendre à celui ayant causé la mort de Shinzo Abe en 2022. Dès lors, on ne sait pas vraiment ce que Nishimura essaie de suggérer par là avec ce parallèle visuel, et nous n’avons d’ailleurs aucune reprise de ces éléments plus tard dans l’intrigue.

Onimanji pourrait vraiment être un bon film, s’il était plus abouti avec davantage de moyens à disposition. Il y a tant d’idées qui méritent le détour et de bonnes intentions qu’il est frustrant de s’arrêter en si bon chemin et de ne pas élever l’œuvre au-dessus du simple divertissement correct.

BONUS

Nishimura passe à l’action : un entretien réalisé par zoom avec le réalisateur, ce qui occasionne quelques petits soucis sonores, d’ailleurs relevés par l’éditeur avant le lancement de la vidéo. Outre ces problèmes techniques, l’entretien est très fourni et revient sur l’intégralité de la carrière du réalisateur, ce qui est appréciable puisque les documents de ce type en français le concernant ne font pas légion. Nishimura revient notamment sur sa cinéphilie personnelle, ses premiers travaux en tant que maquilleur et technicien VFX, la mise en place du label Sushi Typhoon puis son déclin, et aussi les difficultés qu’il a rencontrées tout au long de sa carrière. Il confirme d’ailleurs ce qui se ressentait devant le film en expliquant qu’avec la disparition du V-cinema, ce type de productions peine à trouver des financements. Le point de vue qu’offre le réalisateur sur le cinéma bis japonais et son évolution récente plutôt défavorable est aussi intéressant qu’il est argumenté et complet.

Onimanji, Première mondiale et autres dingueries : Sylvain Sharp revient sur son expérience autour de la première du film dans le festival Les Etranges nuits du cinéma de l’association 2300 Plan 9, en présence du réalisateur et de l’équipe. Nous alternons le récit de Sharp avec un montage des images prises sur place. L’idée d’avoir demandé à Nishimura de réaliser un maquillage en live devant le public est super, et il est très appréciable d’assister à des extraits de la performance. En revanche, il est un peu dommage d’utiliser un vocabulaire parfois chargé, exotisant et essentialiste, lorsqu’on parle de « WTF Japon » pour caractériser le cinéma du réalisateur, par exemple. Le milieu amateur de cinéma bis a parfois un champ lexical très ambivalent pour qualifier les œuvres qu’il a tendance à apprécier (sans forcément avoir de mauvaise intention) et l’intervenant reprend le terme en mettant quelques guillemets, mais on aimerait voir disparaître ce genre de qualificatifs pour parler de cinéma de genre japonais.

Elie Gardel.

Onimanji de Nishimura Yoshihiro. 2023. Japon. Disponible en combo DVD/Blu-ray chez Extralucid Filmsle 01/06/2024.

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