En un peu plus d’un mois, ce ne sont pas moins que deux films d’animation japonais qui ont fait leur apparition sur Netflix : Mon Oni à moi et The Imaginary. Si le premier, issu des studios Colorido, peine à se détacher de l’influence de Miyazaki pour un résultat oubliable, le deuxième, produit par le studio Ponoc, se montre beaucoup plus intéressant à découvrir.
Hasard du calendrier, lorsque l’on lit le script de The Imaginary, on ne peut s’empêcher de penser au film de John Krasinski sorti cette année au cinéma, Blue et compagnie, qui traitait lui aussi du thème des amis imaginaires. Un sujet universel mais dont le traitement diffère radicalement d’une œuvre à l’autre. Au traitement très familial, hollywoodien et inoffensif, du sujet par Krasinski, le film du Studio Ponoc oppose une relecture faussement naïve, dont l’apparente candeur et la bonne humeur finissent par dévoiler des aspects et points de vue aussi inattendus qu’étonnamment sombres.
Dans une petite ville que l’on devine située en Angleterre, une petite fille nommée Amanda vit seule avec sa mère qui, depuis le décès de son mari, peine à joindre les deux bouts. Mais si la mère est plongée dans un inconsolable chagrin, Amanda passe beaucoup de temps avec son ami Rudger, petit enfant blond débordant d’énergie et de bonne humeur. Un petit détail cependant : Rutger est un ami invisible créé de toute pièces par l’imagination de la petite fille après la mort de son père.
Une des grandes qualités de la dernière production du studio Ponoc, c’est avant tout d’oser aborder un sujet on ne peut plus délicat, en l’occurrence le deuil chez l’enfant ou plutôt la difficulté d’exister lorsque l’une des personnes les plus chères au monde disparaît. Comment faire pour retrouver le sourire lorsque tout s’est effondré ? Pour répondre à cette difficile question, le script choisit d’explorer le thème des amis imaginaires. Mais si parfois ceux-ci sont « créés » en quelque sorte par une imagination débordante ou en réponse à une éventuelle solitude amicale ou relationnelle, ici on nous apprend très rapidement que Rudger est né du sentiment d’infinie tristesse d’Amanda. Un ami imaginaire débordant de vie issu d’un mal-être enfantin indescriptible. C’est cette originalité qui va être le déclencheur d’une série de mésaventures pour nos deux amis, car Rudger, ami né de la tristesse, va être pris en chasse par un monstre dévoreur d’amis imaginaires qui se nourrit de leur essence vitale. Une course-poursuite qui aura des conséquences dramatiques mais qui va faire basculer le film dans un tout autre versant. En effet, le scénario ose faire un choix narratif sacrément audacieux, qui rebat totalement les cartes et fait de Rudger le personnage principal du récit. Le film passe alors du drame social mâtiné de fantastique au pur voyage dans un monde magique, avec Rudger qui découvre un univers fantasmagorique où les amis imaginaires squattent littéralement une bibliothèque du royaume humain pour en faire leur quartier général, et d’où ils partent pour rejoindre des personnes en manque d’ami imaginaire. Mais l’euphorie des débuts laisse place à la peur, car le monstre rôde toujours et Rudger doit retrouver Amanda, car si elle disparaît, alors lui aussi partira.
A la lecture de ce court résumé des enjeux dramatiques, il est clair que le film ne s’adresse pas uniquement aux enfants. En effet, si le début du long-métrage est une ode à l’évasion et à l’imagination débordante avec les deux enfants vivant mille aventures dans un grenier, la suite du film, par son ton sérieux, ses propos matures sur l’oubli et l’acceptation de n’être qu’une entité imaginaire, vise clairement un public plus adulte. Certains dialogues sont parfois d’une froide lucidité (le sort d’Amanda est évoqué sans détour ni ménagement par un Imaginaire), et le grand méchant de l’histoire ne cesse de rappeler à Rudger son statut d’ami né dans la douleur, et que si Amanda retrouve un jour le sourire et le goût de vivre, elle l’oubliera complètement. Qui plus est, certaines séquences mettant en scène la mère d’Amanda désormais seule sont d’une infinie tristesse, et un jeune public ne pourrait pas forcément adhérer à ce genre de changement de ton, surtout si l’on pensait assister à un voyage au pays des amis imaginaires. On remercie donc les scénaristes d’oser s’aventurer sur des terrains compliqués faisant appel à des émotions parfois complexes à mettre en scène, surtout pour un film grand public. C’est d’ailleurs là que se situe à la fois sa plus grande qualité et son principal défaut.
Dans son dernier tiers, le script semble se rappeler qu’il doit raconter une histoire pour un film familial et freine sur les points les plus dramatiques. Cela se traduit par des concessions scénaristiques faites d’une part pour ne pas traumatiser les plus jeunes spectateurs (le fil narratif d’Amanda aurait pu très mal finir), et d’autre part pour lancer un climax où les bons sentiments comme la nostalgie et la naïveté enfantine sont autant d’armes contre le monstre final venu dévorer Rudger. Pour autant, le film ne verse pas dans la niaiserie ni le larmoyant, et se montre même plutôt efficace lors d’un affrontement final où le réel et l’imaginaire finissent par se confondre, au travers d’idées de mise en scène que n’aurait pas renié Kon Satoshi, sans jamais oublier d’y insérer de l’émotion. Émotion qui culmine lors d’un ultime dialogue à cœur ouvert entre deux enfants, conscients d’avoir bâti une amitié aussi puissante que fondamentalement factice.
Techniquement irréprochable et débordant d’idées de mise en scène et d’émotion, L’Imaginaire (en VF) est une très bonne surprise au rayon animation japonaise, et dont le seul défaut l’empêchant d’accéder au rang de grand film, est sa volonté de ne pas repousser son jeune public à trop vouloir oser aborder des sujets graves, et donc de revenir régulièrement sur des rails un peu trop sages.
Romain Leclercq.
The Imaginary de Momose Yushiyuki. 2023. Japon. Disponible sur Netflix