DC MINI, LA CHRONIQUE DE STEPHEN SARRAZIN – CHAPITRE 39 : Kubi

Posté le 6 juillet 2024 par

Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Il nous livre aujourd’hui ses réflexions sur le dernier film de Kitano Takeshi : Kubi.

Premier film réalisé par Kitano Takeshi depuis la dissolution de sa société de production et d’impresario, Office Kitano, Kubi marque le retour de l’acteur-réalisateur, sept ans après le dernier volet de sa série Outrage. Adapté de son roman, Kitano rêvait de tourner ce film depuis trente ans ; la rumeur veut que Kurosawa Akira ait émis cette phrase, « il pourrait rivaliser avec mon film Les Sept Samouraïs« . A quoi nous répondrons d’emblée, non.

Plus gros budget de la carrière de Kitano, et son second jidai-geki après son Zatoichi plus… entraînant, Kubi a le mérite de tenter plus d’une audace narrative dans la déconstruction d’un événement de l’histoire du Japon repris maintes fois au cinéma et à la télévision, mais aussi d’opérer une critique cinglante de la chaîne NHK, qui dans ses taiga drama du dimanche soir, n’hésitait pas à aseptiser les shogun et leur samurai. Le film n’a cependant pas la tonicité de porter tous ces désirs, et fléchit au point de surprendre par la fadeur de sa palette, ses éclipses approximatives, et un humour désuet. Quant à la musique, le réalisateur ne sut retrouver un complice à la mesure de Joe Hisaishi.

Kubi affiche néanmoins un entrain ludique dans ses incessantes décapitations et dans son queering de l’incident Honno-ji, la tentative d’assassiner Oda Nobunaga (joué outrageusement par Kase Ryo), lors d’une cérémonie de thé à Kyoto. Ce crime fut imputé à l’un de ses plus fidèles généraux, Mitsuhide Akechi (joué par Nishijima Hidetoshi, qui retrouve Kitano après avoir tourné dans Dolls en 2002).

Le scénario propose qu’un autre général, l’amant secret de Mitsuhide, ait tenté un premier coup d’Etat, et échoua, pendant qu’un vieux conseiller de guerre de Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi (joué par Kitano), chercha à profiter du chaos précipité par l’incident.

Les têtes pleuvent et les plus petits clans jurent fidélité à des samurai au service de généraux dispersés. Avec le concours de son frère Hidenaga (joué par Omori Nao, le Ichii de Miike Takashi) et de son général le plus proche, Kanbei Kuroda (joué par Asano Tadanobu, qui apaise et dénoue les intrigues), Hideyoshi espère atteindre le sommet de l’Etat, à l’heure où Nobunaga parvient à rassembler et unifier plus de la moitié des provinces en guerre.

Si le public japonais est familier avec ce récit, il fut dérouté non seulement par la dimension queer du projet – le cinéma japonais n’avait rien tenté de semblable depuis Gohatto de Oshima Nagisa, autrement plus fin, en 1999 – mais également par les attributs prêtés aux personnages ouvertement gay, dont se moque le personnage Kitano, qui ne sait où donner de la tête et qui se laissa à plus d’une dérive sur ce sujet au cours de sa carrière.

A l’exception des films expansifs de Harada Masato, Kubi se distingue des productions japonaises récentes par l’échelle d’un projet qui ne cesse de s’égarer, de s’épuiser, délestant personnages secondaires et figurants en cours de route. Si Kurosawa Akira se préoccupait des gestes que devaient accomplir les plus simples figurants, Kitano quant à lui aura simplement évité ces distractions. L’un des grands acteurs de la grande période de Kitano, 1989-1997, Terajima Susumu, méritait mieux.

Le réalisateur a annoncé depuis que sa prochaine réalisation allait porter sur le thème des films dans lesquels la comédie cohabite avec la violence. Kitano s’était longuement interrogé sur le cinéma, sur sa propre place dans cette histoire, dans une trilogie de 2005 à 2007. Un exercice qui ne fut pas concluant. Après le coup porté au jidai-geki, on peut entendre qu’il s’en prendra aux films qui lui assurèrent une place dans l’histoire du cinéma japonais. Tel un interminable director’s cut.

Stephen Sarrazin.

Kubi de Kitano Takeshi. Japon. 2024. 

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