Apichatpong Weerasethakul à Côté Court

Posté le 12 juillet 2012 par

Une soirée très spéciale pour le festival Côté Court et pour son public a permis d’accueillir Apichatpong Weerasethakul, avec sa collègue et amie Christelle Lheureux. Le lauréat de la Palme d’or a présenté 6 de ses courts-métrages. Évènement suivi par Alexandra Bobolina.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles on rêve de Paris : la tour Eiffel, les terrasses estivales, le glamour et le style aux Galeries Lafayette et Champs-Elysées, le coucher du soleil qui se reflète sur la Seine au Pont au Change, le métro parisien tout propre et accueillant… pardon, retournons à la réalité.

En tout cas, il est sûr que cette ville attire les  talents et offre une variété de cultures, traditions, sensations qui proviennent des quatre coins du monde.

C’est donc ici, lors du vingtième anniversaire d’un festival consacré aux courts-métrages, dans un lieu d’art pas comme les autres, le Ciné 104, qu’Apichatpong Weerasethakul, s’est rendu le soir du 11 juin, tout près de son public.

Le cinéaste thaïlandais était cette année pour la quatrième fois au festival de Cannes pour y présenter son dernier film, Mekong Hotel, après Blissfully yours (2002), Tropical Malady(2004) et Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures (2010, Palme d’Or).

Beaucoup moins connus sont ses courts-métrages, pourtant essentiels dans la démarche artistique de Weerasethakul.

SUR L’ECRAN

Les films suivants furent présentés :

The Anthem (2006)

Morakot (Emerald) (2007)

Wordly Desires (2004)

Ghost of Asia (2005)

Mobile Men (2008)

A Letter to Uncle Boonmee (2009)

Les six courts traitent des thèmes favoris de l’artiste : la jungle, les présences surnaturelles, le cinéma, l’approche métalinguistique à l’art et certains parmi eux ont aussi été un chantier d’expérimentation pour des longs métrages futurs ou déjà réalisés. C’est notamment le cas pour Wordly Desires et A Letter to Uncle Boonmee. Le premier retrace parallèlement deux tournages dans la jungle : un clip musical et les aventures d’un jeune couple parti à la recherche d’un arbre magique. Il évoque directement le futur Blissfully Yours et Tropical Malady en analysant les liens dans un couple, ainsi qu’avec la nature, ce personnage principal de tout son art.

A Letter to Uncle Boonmee suit le chemin de Weerasethakul vers l’histoire qui ensuite donnera naissance à Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures. C’est lors de l’exploration d’un village abandonné (Nabua, qui l’inspire pour plusieurs œuvres), que l’auteur a mis une lettre dans les mains de deux jeunes hommes qui lisent devant la caméra. La lettre est écrite par lui et adressée à Oncle Boonmee.

Le lien, très subtil parfois, entre les images enregistrées et la réalité qu’elles reflètent est toujours maintenu par une expérience vraie et encore vivante. Elle est filtrée à travers la réflexion sur le cinéma en tant que medium. Ainsi, dans Wordly Desires, Weerasethakul reprend le tournage d’un film de fiction qui ne verra jamais le jour et ses acteurs n’en sont même pas conscients. Son but final est de documentaliser à la fois la fiction et la réalité.

Mobile Men

Dans Mobile Men, l’action se développe sur un pick-up en route et reprend deux jeunes hommes qui s’adressent directement à la caméra. Le matériel technique se manifeste explicitement et les limites de la réalité et de la fiction se diluent. À un moment donné, l’un des garçons attache le microphone à son tatouage pour le faire crier et le spectateur entend alors le bruit du vent.

Derrière chaque film, il y a une histoire qui provient de la vie réelle et dont Weerasethakul manipule les faits. Le garçon des tatouages est un immigré venu en Thaïlande pour travailler. Un sujet sensible, celui des ouvriers étrangers, surtout les originaires de pays comme le Cambodge et le Laos, intéresse constamment Weerasethakul et il veut montrer ici le jeune homme dans toute sa dignité, mais aussi parler du corps et de l’identité que chacun s’attribue et de l’autre qui nous est innée.

Morakot (Emerald)

Ce sont des faits qui se devinent et colorent d’autres façons la perception de ses films. Ghost of Asia fait appel à des souvenirs du tsunami qui a touché les côtes de Thailande en 2004. Dans Anthem, il rend hommage au cinéma, sans en parler ou en montrer une seule seconde. Il faut connaître la tradition thaïlandaise selon laquelle chaque spectateur doit se lever sous cette musique, avant de voir une séance de cinéma. Il y a aussi de la pure et simple poésie comme Morakot, un lieu abandonné et rempli de mémoire à laquelle appellent les voix hors-champ.

La liberté est sûrement ce qui caractérise les courts-métrages de Weerasethakul pas plus ou moins que ses longs métrages. C’est grâce à elle que son langage touche un niveau sensoriel au-delà de l’intellect et des différences culturelles. Le cinéma de Weerasethakul est très thaïlandais, il l’est aussi dans sa façon d’être intime avec le spectateur, de toutes langues et de toutes cultures, tout en restant extrêmement personnel et enfermé.

A letter to Uncle Boonmee

SUR LA SCENE

Après la projection, Apichatpong Weerasethakul a répondu aux questions de Jacky Evrard – le directeur artistique du festival et aux spectateurs. Voici quelques-unes de ses réponses :

Quelle est la situation du cinéma thaïlandais aujourd’hui ?

Apichatpong (Joei) : Je me rappelle d’un cinéma très varié quand j’étais jeune. Mais après mon retour de Chicago (NDLR: où il a étudié), je n’ai plus trouvé cette diversité. Aujourd’hui, il y a une renaissance avec beaucoup de jeunes cinéastes. Ils s’intéressent aussi à une nouvelle vision sur l’histoire de la Thaïlande, qui n’était pas étudiée de la même manière avant. Le cinéma est plus sensible aux questions politiques grâce aussi à la diffusion d’Internet.

Quel type de films sont diffusés ?

Joei : Le public n’a pas facilement accès aux cinémas d’auteur et étranger. Mais il y a de la curiosité et le peer-to-peer est un moyen de visionnage très répandu. Il y a de nouveaux formats comme la vidéo qui encourage à l’expérimentation. Il n’y a pas de petites salles comme en France mais seulement des multiplexes. Ceci n’empêche pas leurs gérants d’être ouverts aussi au jeune cinéma « alternatif » thaïlandais.

worldly desires

Est-ce que votre succès a aidé ce jeune cinéma ?

Joei : Vu que les fonds pour les productions comme les miennes viennent toujours de l’étranger, oui, maintenant il y a plus de réalisateurs qui suivent ce chemin et plus de disponibilités de financement, et ceci leur permet de faire un cinéma plus personnel.

Les festivals sont une bonne opportunité de trouver les moyens parce qu’en Thaïlande, nous n’avons pas un support de l’Etat.

Vos films sont accompagnés d’un grand travail de recherche, de l’utilisation de différentes formes artistiques : l’installation, la vidéo, les courts-métrages, ce qui est rare pour un réalisateur. Qu’est-ce que vous pousse à ce type de démarche ?

Joei : C’est un processus très naturel pour moi. Je suis toujours en train de développer des projets. Lorsqu’un long métrage demande souvent 4 ans, j’ai peur de perdre mon inspiration et j’ai besoin de résultats plus immédiats.  Aussi l’installation par exemple me donne la possibilité de travailler l’espace différemment.

L’incarnation et la présence surnaturelle sont très présentes dans votre cinéma. Est-ce qu’il s’agit d’une influence de la culture du pays ou est-ce aussi une réflexion universelle ?

Joei : Les fantômes en Thaïlande sont très présents dans la vie de tous les jours. Enfant, j’y croyais et ensuite je me suis rendu compte que ça n’avait pas de sens. C’est comme le cinéma pour moi : enfant, on croit que c’est une réalité, adulte, on revient à ses souvenirs en les jugeant comme de la fiction. C’est la réalité du cinéma qui m’intéresse. Quand on filme quelque chose de réel, on le met toujours dans un cadre. Ce sont des scènes composées, mais c’est aussi documenter une réalité. Mon dernier film, Mekong Hotel, présenté à Cannes, parle justement de ça.

Mekong Hotel

Quelle est votre approche quand vous filmez la jungle ?

Joei : La jungle est l’endroit en général où je voudrais travailler. Le tournage à l’extérieur est comme un jeu avec tous les éléments et lumières qui bougent. C’est comme un sport, pour attraper ce qui est en constant changement. Il n’y a pas de règle. Mettre les personnages dans un cadre pareil met l’accent sur ce qu’ils ont à exprimer et pas comment ils sont habillés et comment ils bougent.

Lors du tournage, vous improvisez ou tout est prévu ?

Joei : J’écris beaucoup. Pour obtenir des financements, j’ai besoin de bien développer mon projet avant de me mettre à la réalisation.

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