Wim Wenders - Perfect Days

VIDEO – Perfect Days de Wim Wenders

Posté le 8 juillet 2024 par

Près de 40 ans après Tokyo-Ga, son documentaire sur OzuWim Wenders retrouve le Japon avec Perfect Days, une fiction empreinte de « japanéité », une vision assez zen et volontairement peu spectaculaire, comme chez Ozu. L’acteur principal, Yakushi Koji, a été récompensé du Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes. C’est disponible en DVD et Blu-ray chez Blaq Out ! Film par Marc L’Helgoualc’h ; Bonus par Flavien Poncet.

Hirayama (Yakusho Koji), la cinquantaine, travaille à l’entretien des toilettes publiques de Shibuya à Tokyo. Ses journées sont routinières, presque ritualisées. Il se lève à 5 heures, arrose ses plantes, rejoint Shibuya en voiture, nettoie les toilettes publiques, prend sa pause-déjeuner dans un parc sans oublier de prendre en photo les rayons du soleil à travers les branches d’un arbre, se lave dans un bain public, dîne dans un izakaya et lit quelques pages d’un livre avant de s’endormir. Ses journées se suivent et se ressemblent, à l’apparente satisfaction de l’intéressé. Plusieurs rencontres inattendues vont agrémenter son quotidien.

Wim Wenders - Perfect Days

 

Dans l’urgence

La genèse de Perfect Days est intéressante : une commande japonaise pour tourner une série de quatre documentaires de 15 à 20 minutes sur des architectes ayant conçu des toilettes publiques high tech et bien intégrées dans leur environnement. À la place, Wim Wenders a proposé aux commanditaires de réaliser, pour le même budget et dans les mêmes délais (16 jours), un long-métrage de fiction qui mettrait en valeur ces toilettes « révolutionnaires ». Banco. Wim Wenders écrit le scénario en deux semaines. Pour respecter le budget et les délais, les lieux et personnages seront réduits au maximum. D’où un film largement axé sur le personnage principal, Hirayama, qui navigue entre son domicile et son lieu de travail, et interagit avec peu de personnes.

Yakusho Koji, acteur passé par les plus grands (ImamuraKurosawaAoyama ou Nakashima), joue donc le rôle de Hirayama (nom emprunté au vieux père de Conte de Tokyo d’Ozu). Il est de presque tous les plans du film. En plan large quand il déambule en vélo dans les rues, en plan moyen quand il travaille ou vit dans appartement exigu, en plan serré quand il conduit. On sait peu de choses de son histoire. Qui est-il vraiment ? Pourquoi est-il si mutique ? Pourquoi photographie-t-il chaque jour le même arbre ? Quel est son passé ? Quel est son but ? Est-il vraiment heureux ? Plusieurs clefs de lecture sont données au cours du film mais l’imagination ou les fantasmes du spectateurs doivent combler les nombreux non-dits. On comprend qu’il n’a pas toujours été nettoyeur de toilettes publiques et qu’il est même issu d’une famille aisée. Que lui est-il arrivé pour qu’il change de vie ? Nous ne le saurons pas.

La routine est souvent perçue de manière négative. Nos vies sont pourtant rythmées par les mêmes actions, les mêmes gestes, les mêmes besoins, les mêmes loisirs. Se satisfaire de cette vie répétitive, se contenter de peu et profiter du moment présent : voilà le credo de Hirayama. Peu importe qu’il vive dans un appartement minuscule, sans salle de bain, et que les seuls achats qu’il puisse se permettre soient des livres d’occasion. Hirayama vit dans son cocon, dans sa bulle. Ses interactions avec autrui sont limitées et il ne s’intéresse ni aux modes de son époque ni à son environnement, à l’exception de l’arbre qu’il photographie chaque jour. Il reste dans sa bulle dans différents lieux clos : son appartement, sa voiture (dans laquelle il écoute religieusement des cassettes de musique des années 60-70), les toilettes qu’il nettoie, le bain public et son izakaya préféré.

Vigie omniprésente, la Tokyo Skytree, tour la plus haute de la ville, jouxte le chiche appartement de Hirayama. Les plans panoramiques de Tokyo sont pourtant rares. On se souvient de cette scène de Conte de Tokyo dans laquelle les parents contemplent la ville depuis un immeuble, accompagnés de leur belle-fille Noriko. Rien de tel dans Perfect Days, même si Hirayama aurait pu monter dans la tour avec sa jeune nièce. Hirayama ne peut pas, ne veut pas, prendre de la hauteur. Il préfère rester ce modeste agent public qui nettoie les lieux d’aisance, dans la rue et dans les parcs. Il est cet « éphémère et point trop mécontent citoyen d’une métropole crue moderne » pour citer Rimbaud.

Komorebi

Cloué au sol de son plein gré, Hirayama n’en regarde pas moins le ciel. Plus exactement, il regarde la lumière du soleil à travers les feuilles d’un arbre ; une lumière douce et apaisée toute poétique et symbolique du côté éphémère et évanescent de la vie. Chaque jour, il tente de capter cette poésie avec un appareil photo.

Wim Wenders explique : « J’ai imaginé un homme qui avait un passé privilégié et riche et qui avait sombré profondément. Et qui a eu une révélation un jour, alors que sa vie était au plus bas, en regardant le reflet des feuilles créé par le soleil qui éclairait miraculeusement l’enfer dans lequel il se réveillait. La langue japonaise a un nom particulier pour ces apparitions fugitives qui surgissent parfois de nulle part : « komorebi » : la danse des feuilles dans le vent, qui tombent comme un jeu d’ombres sur un mur devant vous, créé par une source de lumière dans l’univers, le soleil. »

Perfect Days est un film réconfortant au message rassurant : « Admire la nature qui t’entoure, profite de la vie et de chaque instant, sans trop en attendre. » On peut trouver cela mièvre, voire un peu niais, mais qui peut donner tort à Hirayama ? Ce réconfort un peu facile se matérialise parfaitement dans la musique du film, composée de classiques connus et appréciés de tous : Lou ReedRolling StonesAnimalsKinks ou Nina Simone. Aucune prise de risque. Mais on aime écouter ce genre de chansons. Au cinéma ou ailleurs.

BONUS

Le Blu-ray du film s’accompagne d’un seul bonus, mais suffisamment copieux, dense et généreux pour accompagner les multiples lectures qu’offre le film : une conversation en anglais de plus d’1h avec Wenders, que le Blu-ray permet d’explorer en 6 chapitres : D’où vient Hirayama ? ; Fiction ou documentaire ? ; Trop d’histoire, c’est un désastre ; Voir à travers les yeux du personnage ; Ozu est là ; J’aime faire des films quand je ne sais pas comment les faire.

Le rythme lent, presque méditatif, profond sans être pédant, grave sans être lourd et parfois léger sans être cabot, de Wenders fait de sa parole le boss final de l’ASMR.

Les choix de captation de l’entretien ne sont pas anodins. Le cinéaste n’est pas filmé de face en 3/4, comme souvent, mais sur son profil gauche, assis devant une tasse et une table en bois. Son regard n’est pas dirigé vers son interlocuteur ou dans l’objectif mais comme tourné vers sa propre pensée. On sent que les mots de l’auteur sont pesés et choisis avant d’être partagés, avec la sagesse d’un moine qui serait sorti d’un monastère cinéphile pour venir livrer, avec une humilité qui n’a d’égale que le sens du partage, une vérité profonde. L’auteur déploie le sillon de sa création, sans fard, s’attardant davantage sur ses hésitations que sur les réussites, sans fausse modestie, avec le soin constant de déployer chaque angle mort de son processus créatif.

En l’écoutant sur le long cours, on ressent parfois le sentiment d’être partie prenante de son travail d’écriture, de tournage et de direction d’acteur, comme un stagiaire venu observer les secrets du maître, y devinant les points d’origine (l’archéologie cinéphile depuis lequel il s’exprime) et les lignes de fuite (les gestes singuliers qu’il tâche d’orchestrer).

La profondeur de ce dont témoigne Wenders sur, par exemple, les intentions du personnage de remercier les arbres et la lumière en les prenant en photo, témoigne de combien cet entretien ouvre des horizons qui excédent le seul champ culturel du cinéma mais atteint à une des missions de l’art : rendre sensible la puissance philosophique d’une expérience du réel.

Perfect Days de Wim Wenders. Japon / Allemagne. 2023. Disponible en DVD et Blu-ray le 04/06/2024 chez Blaq Out.

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