SI LOIN, SI PROCHE 2024 – Le Signal de Lee Phongsavanh

Posté le 6 février 2024 par

Premier long-métrage du cinéaste laotien Lee Phongsavanh, aussi réalisateur du superbe court-métrage Sounds from the kitchen diffusé en cérémonie d’ouverture du festival Si loin, si proche, Le Signal est un film d’une étrangeté charmante. Un peu film d’horreur, un peu drame classique, mais surtout film radicalement protéiforme, ce premier long-métrage ne donne qu’une seule envie : voir la suite de la carrière de ce cinéaste émergent.

Nammon, jeune adolescente, part chez son oncle dans l’espoir de retrouver son père disparu. En parallèle, elle se fait recruter par la riche voisine de son oncle, qui est aussi sa patronne, pour s’occuper de sa maison ainsi que de sa fille plongée dans un coma artificiel à l’étage.

La qualité principale du Signal, qui pourrait être aussi son principal défaut, est son envie foisonnante de partir dans tous les sens. Plusieurs trames s’entremêlent (la recherche du père de Nammon, l’oncle et sa maladie, la patronne et sa mystérieuse fille plongée dans le coma, une histoire d’amour avec un voisin, des apparitions paranormales…) faisant qu’alors que le début semblait nous diriger vers une quête identitaire et familiale tout à fait banale, nous nous voyons désarçonnés par un tel foisonnement, au point de perdre de vue la trame initiale du film ainsi que ses enjeux scénaristiques premiers. L’on pourrait y voir ici le principal défaut des premiers long-métrages, ou plus précisément un poncif critique souvent utilisé pour dévaloriser les premiers films de cinéastes voulant en faire trop. Sans remettre en cause ici ce poncif, on peut assurément affirmer qu’il ne convient pas au film puisque toute la force du cinéaste est de faire de ce grand désordre scénaristique et visuel une unité formelle très forte et un film qui, dans son dernier tiers, se révèle enfin à son spectateur sous toutes ses coutures.

Ici réside l’étrange charme du Signal, ainsi que ce que le spectateur devra accepter pour se plonger pleinement dans le film : si tout commence de manière très programmatique (une recherche du père pour Nammon avec un soupçon de récit initiatique et un discours politique qui pointe le bout de son nez avec l’arrivée du personnage de la patronne dans le film), le film délivre pourtant une seconde moitié très déconcertante. Les différentes trames narratives s’entremêlent ou bien s’interrompent brutalement, l’horrifique fait surface aussi bien dans le surnaturel que dans le réel et les personnages, premièrement faciles à cerner par leur caractérisation très classique, deviennent des blocs opaques. Cette douloureuse seconde partie l’est, non pas parce qu’elle échouerait cinématographiquement, mais bien parce qu’elle résulte d’un terrain que le cinéaste préparait tout au long de sa première partie. L’alternance entre les formes (une caméra tantôt dirigée vers la mise en scène du réel, tantôt vers la résurgence du fantastique) devient ici un mélange qui apparaît comme un violent contrepoint à cette première partie aussi classique que plaisante et efficace. De plus, de nouveaux thèmes émergent, des thèmes très violents (notamment sur la question de la fin de vie, mais aussi la maladie, les inégalités d’accès aux soins ou bien encore un profond questionnement sur la notion de famille) et qui ne semblaient pourtant pas être les enjeux premiers du film. De plus, ces thèmes, bien que soulignés dans cette seconde partie, ne sont au final pas vraiment traités par le film : ils sont autant de stigmates accolés aux différents personnages menant vers une étrange résolution, cette séquence finale qui, semblant rassembler tous les morceaux, rend ce long-métrage, à première vue tiraillé entre plusieurs voies qu’il n’arrive pas à choisir, en un film bien plus terre à terre.

Cette séquence de résolution ne veut pas dire non plus que le film ne garde pas une part énigmatique, au contraire. La force du Signal est bien là : sous ses faux airs académiques, à vouloir tout résoudre et montrer comment tout s’imbrique dans ce désordre désarmant, le film termine sur une scène finale d’une ambiguïté telle qu’on ne saurait par quel bout la prendre. Sans révéler le contenu scénaristique de cette scène, nous assistons à une sorte de célébration d’une famille recomposée, famille aussi soudée que Frankenstein tant tout sépare les trois différents personnages tout au long du film. Cet « happy end » apparaît alors comme un peu faux, presque tordu : derrière cette recomposition finale, fausse résolution du film, restent dans la tête du spectateur toutes les directions que le métrage a pris avant d’en arriver là. Ce plan final ferait presque penser à la famille recomposée à la fin de Noriko’s Dinner Table, une résolution superficiellement joyeuse mais qui est surtout le signe de stigmates profonds explorés du début à la fin du film, sans qu’une véritable réparation soit apportée à ces derniers. Au mieux, il s’agit là d’un simple pensement sur une plaie béante.

Un bien étrange film que nous présente là le cinéaste Lee Phongsavanh. Si l’on se complait dans une première partie à première vue académique, puis l’on est dérouté par une seconde partie très fragile partant dans tous les sens, le film réussit son pari risqué à travers cette fin aussi étrange que grave. Il faut aussi saluer l’entreprise qui, de base, dans une industrie aussi fragile que celle du cinéma laotien, était un pari risqué et rondement menée (aussi bien techniquement qu’esthétiquement). L’on espère alors revoir très bientôt des œuvres du cinéaste, qu’elles soient courtes ou longues.

Thibaut Das Neves