Une petite curiosité habite le coffret dédié à la saga God of Gamblers paru chez Spectrum Films : l’inclusion d’un sixième film, Challenge of the Gamesters, qui est le premier long-métrage pour le cinéma de Wong Jing, produit par la Shaw Brothers, et déjà dédié à l’univers du jeu.
Dans les années 1930, deux professionnels du jeu et des combines, un jeune chien fou et un gentleman escroc, sont missionnés par le gouvernement chinois pour mettre hors d’état nuire un autre parieur, surnommé l’Imposteur Suprême, et accusé d’offrir ses talents et son influence aux Japonais.
Au début des années 1980, la Shaw Brothers recrute de nombreux nouveaux réalisateurs pour faire redémarrer son activité de production de films alors chancelante. Wong Jing est connu du milieu : fils du réalisateur vétéran de la Cathay, Wong Ting-lam, il s’est frayé un chemin dans l’audiovisuel par la télévision, notamment en écrivant pour des séries et des émissions. La rencontre entre la tradition de cette firme et ce scénariste, connu pour son humour graveleux et son inspiration qui fonctionne par l’aspiration de nombreuses références préexistantes, a quelque chose d’évident.
En effet, malgré la qualité de tout le cinéma d’arts martiaux de la Shaw, la dérision n’est jamais loin, y compris dans les grands films de Liu Chia-liang, Chang Cheh et Chu Yuan. Depuis au moins les années 1970, la firme localisée à Clear Water Bay s’amuse avec les postiches posés sur les visages de ses interprètes, les armes-gadgets et le jeu d’acteur exagéré. Il y a effectivement une part de gravité dans les intrigues de la 36ème Chambre de Shaolin ou The Magic Blade, mais elle fonctionne en parallèle de ces gimmicks outranciers, sans dépareiller. La tradition littéraire chinoise classique dont s’inspire les nombreux films de la société de Run Run Shaw comporte d’ailleurs de nombreux éléments délirants.
Wong Jing se fond dans ce moule non sans déplaisir, d’autant plus lorsque l’on jette aux œil aux travaux de ses comparses au même moment : Demon of the Lute de Tang Tak-cheung ou Buddha’s Palm de Taylor Wong, films de nouveaux réalisateurs, typiques de cette période cartoonesque. Dans le cadre de la Chine républicaine, Wong fait s’affronter trois protagonistes, dont deux personnalités d’âge mûr et charismatiques (Patrick Tse et Chen Kuai-tai) à travers des parties de jeu, mais aussi par le combat de rue, lui permettant d’utiliser une panoplie d’armes improbables, tels que des cartes en métal lancées comme des shuriken. Le film est une succession de péripéties de la sorte où l’on sent que Wong Jing est déjà en train de trouver sa voie dans l’industrie cinématographique hongkongaise : des scènes d’action généreuses, avec des personnages vifs, ponctuées d’un humour qui fait régulièrement mouche.
Une fois encore, les décors du studio offrent une patine à sa production. Il y a quelque chose de définitivement charmant dans cet environnement boisé – légèrement variant ici, puisque on assiste à des parties de casino et un affrontement dans les docks, des cadres plus rares chez la Shaw. Le jeu du jeune héros, campé par Wong Yu, se révèle frais et apporte la touche d’humour au film. Maladroit et avare, il complète à merveille le trio de personnages principaux. Malgré tout cela, Wong Jing est donc déjà Wong Jing, et si la bonne humeur et l’esthétique Shaw sont au rendez-vous, Challenge of the Gamesters enchaîne ses péripéties de manière mécanique sans grande ampleur, alors que l’intrigue se veut un récit d’espionnage et de duels tendus au jeu.
Si l’intrigue ne se montre pas assez forte et différenciante pour ranger Challenge of the Gamesters au panthéon des classiques de la Shaw Brothers, le film est un amuse-gueule appréciable pour appréhender la longue et diverse carrière de ce cinéaste particulier qu’est Wong Jing, un producteur qui revendique vouloir créer des produits commerciaux et qui pourtant est doté d’une solide culture cinématographique et d’un certain sens de cinéaste.
BONUS
Présentation d’Arnaud Lanuque (10 min). Arnaud Lanuque rappelle le background de Wong Jing, de la carrière de son père à la Cathay, les dettes de jeu de sa mère qui vont le lier au sujet, et son intégration à la télévision qui, de fil en aiguille, va lui ouvrir les portes du cinéma. Comme toujours de la part d’Arnaud Lanuque chez Spectrum Films, son intervention est éclairante.
Bande dessinée Blood of the Gamblers de Xi Zu, chapitre 1. Pour agrémenter le coffret God of Gamblers, Spectrum Films propose un court manhua autour de l’univers du jeu et fortement inspiré des films et l’atmosphère hongkongaise des années 70. Exercice de style et d’ambiance, la BD est plaisante à lire, mais elle est surtout extrêmement courte ! D’autres chapitres suivront dans de futures éditions Spectrum Films.
Maxime Bauer.
Challenge of the Gamesters de Wong Jing. Hong Kong. 1981. Disponible dans le coffret God of Gamblers paru chez Spectrum Films en septembre 2023.