HENRI – Santi-Vina de Thavi Na Bangchang : le romantique et le bouddhiste

Posté le 26 mars 2021 par

Depuis la fermeture des cinémas, la plateforme Henri de La Cinémathèque française propose au public diverses œuvres patrimoniales accessibles en ligne. À partir de mars, le programme « carte blanche Thaï Film Archive » sera la possibilité de voir quatre films classiques thaïlandais, courts et longs, en version restaurée. Attardons-nous sur le premier d’entre eux : le long-métrage Santi-Vina, réalisé par Thavi Na Bangchang en 1954.

Un jeune aveugle, Santi, est la cible de moqueries au village. Il se trouve un véritable soutien en une petite fille de l’école, Vina, qui d’amie va devenir amoureuse. Ils se promettent de se marier une fois adultes. Le père ne pouvant subvenir à ses besoins, Santi est confié au moine bouddhiste qui a élu domicile à l’écart, dans une grotte aménagée en monastère. Plusieurs années plus tard, il remonte au village, initié à la foi et prêt à tenir sa promesse d’union. Mais la vie n’a pas changé ici-bas, et sa dulcinée est promise à un autre…

Le film s’ouvre sur un générique formaté de la même manière que les productions du Hollywood Classic, laissant penser de prime abord que nous aurons affaire à un genre d’imitation pour satisfaire une audience déjà séduite par les films américains, comme partout dans le monde. Pourtant, l’œuvre désamorce très vite cette tentation et trouve sa propre voie. Au fur et à mesure que l’intrigue se déroule, les plans s’allongent en durée et la romance cède du terrain à l’évocation du bouddhisme. Ne nous y trompons pas : nous ne sommes pas encore dans la contemplation ultime d’Apichatpong Weerasethakul. Cependant, le peuple thaïlandais est connu pour sa dévotion à la religion bouddhiste, et Santi-Vina est empreint de toute part d’une stylisation relative à cette foi, un procédé maintenant bien connu des spectateurs occidentaux que nous sommes. En effet, des films plus récents de ce type ont connu une large exploitation mondiale, tels que l’œuvre de King Hu (Raining in the Mountain), Le Voleur de chevaux de Tian Zhuangzhuang, Printemps, Eté, Automne, hiver… et Printemps de Kim Ki-duk, Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul ou encore Jinpa de Pema Tseden, sortis sur nos écrans en 2019. Immédiatement après le générique, c’est un plan concernant le personnage du moine qui apparaît, et le dernier plan du film consiste en une procession de religieux. Entre ces deux images, nous aurons vu de nombreuses figures du Bouddha, en statues dans le temple. L’imagerie du bouddhisme traverse toute la structure.

Santi-Vina explore la complexité des rapports humains à travers diverses thématiques, tels que le handicap et le rejet qu’il induit, le mariage arrangé et le rôle des religieux dans une société. Sans trop d’emphase, ces quelques sujets s’articulent naturellement pour montrer un système relationnel complet entre les personnages, où chacun trouve sa place sans y perdre en complexité. L’élément crucial en est la jonction entre la facette romantique et la facette spirituelle, qui n’est en réalité qu’une composante du contexte socio-politique plus qu’une réelle exploration de la spiritualité bouddhique. Aucune insistance sur les préceptes n’est exercée. Précisément, le film a l’idée de montrer l’adhésion au bouddhisme non pas réellement comme un choix de vie, mais comme la réponse à un échec personnel (amoureux ici). Ce faisant, il s’écarte des comédies romantiques en vogue pour arborer sa propre dramaturgie. L’accès au bonheur souhaité étant impossible, il ne reste plus qu’à rentrer dans les ordres. Le film questionne le destin de ses personnages : le couple de héros s’imagine une vie commune mais ils sont soumis à la pression sociale, qui veut qu’une jeune femme de bonne famille épouse un jeune homme de bonne famille, et non pas un garçon de condition modeste, handicapé de surcroît et que son maître imagine déjà lui succéder dans la religion. Plus l’intrigue avance, plus le film semble vouloir signifier que trouver une issue à un tel cadre rigide est impossible. Il en résulte un objet cinématographique plus cruel que l’on ne l’aurait pensé.

Le système narratif étant réglé rigoureusement, Santi-Vina manque par instants de moments forts, d’envolées scénaristiques bouleversantes. Malgré tout, le film peut compter sur ses qualités graphiques pour achever d’en faire une œuvre qui vaille le détour. Premier long-métrage en couleur de Thaïlande, la colorimétrie évoque à la fois la chaleur des couleurs pastel que nous retrouverons (plus tard !) chez Ozu, et la prédominance des teintes vertes, bleues avec des pointes de jaune-orange, qui évoque déjà la Thaïlande telle que nous l’imaginons, tropicale et boisée. La restauration rend honneur à sa beauté plastique. Le film, scénarisé et produit par un agent américain en poste en Thaïlande, navigue quelque part entre la méthode Made in USA et son propre élan créatif, quitte à mettre en exergue le folklore thaïlandais. Cela lui sera reproché en son temps, mais avec le recul nécessaire, nous constatons sa singularité.

Maxime Bauer.

Santi-Vina de Thavi Na Bangchang. Thaïlande. 1954. Disponible sur la plateforme Henri du 17/03/21 au 15/06/21.

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